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LA GRANDE MADEMOISELLE

II.[1]
LA TRANSFORMATION DES MŒURS. — NAISSANCE DE LA VIE DE SALON

Les Mémoires de la Grande Mademoiselle n’offrent que peu de chose à glaner, soit sur elle-même, soit sur les affaires du temps, jusqu’aux derniers mois du règne de Louis XIII. L’âge ingrat la traita mal, à tous égards. Elle avait été jolie et délurée dans sa petite enfance. A douze ans, c’était une grosse fille avec de grosses joues, de grosses lèvres, l’air bête : un franc laideron, et trop absorbé par la vie animale, le besoin de jouer et de remuer, pour jamais observer ou réfléchir. Il est à peine croyable qu’une jeune fille élevée à la Cour de France, nullement sotte dans le fond, et à portée, par sa naissance, de tout voir et de tout entendre, ait pu traverser en sourde et en aveugle quelques-unes des catastrophes les plus saisissantes de cette époque tragique. Mademoiselle était la première, plus tard, à s’en étonner. Elle en donne un exemple qui passe l’imagination.

En 1637, avant de partir pour son voyage en province, elle était allée faire ses adieux à « Leurs Majestés, » qui se trouvaient à Chantilly. Mademoiselle tombait en plein drame. Richelieu venait de mettre en pénitence la reine de France, convaincue d’avoir abusé de ses retraites au couvent du Val-de-Grâce pour entretenir des correspondances secrètes avec l’Espagne. On avait fouillé le Val-de-Grâce, arrêté l’un des domestiques d’Anne

  1. Voyez la Revue du 15 juillet.