Page:Revue des Deux Mondes - 1899 - tome 155.djvu/573

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

sont à ses yeux une race maudite, contre lesquels tous les honnêtes gens doivent se liguer. « C’est aussi un larron, celui qui ne dénonce pas les larrons : crions donc bien haut le mal qu’ils font ou font faire ; et que nul de nous ne se croie en sûreté alors qu’il voit écraser son voisin ou son frère. » Les vices qu’il leur reproche le plus âprement sont la rapacité, l’hypocrisie, la luxure, l’instinct de domination : « Ils se vêtent en bergers, mais ce sont des loups, qui tuent et dévorent les brebis… Ils ont sur la tête la tonsure, sur le corps de blancs vêtemens, mais dans la poitrine des cœurs de loups et de serpens… Les clercs vont lançant des pierres aux gens : ceux qui se défendent, voilà les hérétiques. » Les plus insultantes métaphores ne suffisent pas à son indignation : « Ni milan ni vautour ne sentent de plus loin la chair pourrie qu’eux ne sentent la richesse… Aussi sont-ils plus volontiers au chevet des riches moribonds que dans la cabane des pauvres… Un ordre est venu de France, que l’on ne doit plus saluer que ceux qui ont en abondance vin dans leurs caves et blé dans leurs greniers. » Ont-ils besoin d’argent pour garnir leurs vastes réfectoires ou satisfaire leurs appétits ? Ils « vendent Dieu » et font venir de Rome les grands pardons. « Ils iront loin, car ils ne craignent ni Dieu ni péché ; rien ne leur coûte, ni crime ni parjure… A force de tromperies, ils sont devenus les rois de la terre et ont mis sous leurs pieds ceux qui devraient les gouverner… Ils ont accaparé tout l’orgueil, toutes les fraudes, toute la cupidité du monde : à mesure qu’ils sont de plus haut rang, il y a en eux moins de foi et plus de fraude, moins de douceur et plus de cruauté… Ce qu’ils osent faire, je n’ose le dire. » Et nous, pas plus que Fauriel, nous n’osons répéter tout ce qu’il dit.

Dans ces sirventés, « tissus d’amertume, ourdis de honte, » l’ironie vient souvent relever ce que l’expression brutale de la haine aurait de trop monotone : « La croyance qu’ils exigent, c’est celle que les œuvres n’accompagnent point… Rarement vous les verrez pécher, sinon de jour et de nuit… Non, ils ne haïssent personne, ne commettent point de simonie ; larges donneurs, ils amassent avec mesure : aussi est-il singulier qu’au lieu de les louer, on les blâme comme on le fait. »

Chez Guilhem Figueira, nous ne trouverons point la même variété dans l’invective : son célèbre sirventés contre Rome[1] est une

  1. D’un sirventés far (dans Raynouard, Choix, t. IV, p. 309 ; édit. Lévy, n° 2).