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troubadours, groupés autour du jeune Raimon VII comme ils l’avaient été autour de son père, qu’ils durent célébrer ses exploits et saluer cette étoile qui se levait si inopinément dans un ciel si étrangement obscurci.

Mais peu de temps après, le vent tournait encore une fois. Le pape Honorius III, après avoir d’abord songé à diriger toutes les forces de la chrétienté contre les Turcs, s’alarme des rapports qui lui sont faits sur la recrudescence de l’hérésie en Languedoc, et fait de nouveau prêcher la guerre sainte. C’est en vain qu’au concile de Bourges, Raimon VII tente de se justifier ; Louis VIII, devenu roi, rentre en scène ; il descend le Rhône avec une imposante armée et vient mettre le siège devant Avignon. La ville ne démentit point sa vieille réputation de fidélité à ses seigneurs et résista vaillamment. C’est pendant le siège même que Tomier et Palazi, les deux chevaliers tarasconnais que nous connaissons déjà, entonnèrent, sur le rythme et la mélodie d’une chanson populaire, un sirventés destiné à soutenir le courage de leurs concitoyens[1] :

« Dieu nous enverra un puissant secours, j’en ai confiance, seigneurs, et nous l’emporterons sur les Français. D’armée qui ne le craint point, Dieu prend soudaine vengeance. Soyons fermes, seigneurs, et comptons sur un puissant secours.

« Tel vient, sous le faux prétexte de croisade, qui devra fuir sans même allumer les feux du campement ; car, en frappant bien, on triomphe même d’une nombreuse troupe. Soyons fermes, seigneurs, et comptons sur un puissant secours. »

Malgré ces fières assurances, les deux poètes ne parviennent pas à dissimuler leur découragement : ils constatent que le roi d’Aragon a été sollicité en vain : « Auprès des Aragonais et des Catalans, nous avons perdu notre peine et notre sirventés : le roi, qui est jeune, ne trouve personne qui l’excite. » Ils ne paraissent pas compter beaucoup davantage sur le roi d’Angleterre et l’empereur d’Allemagne, qu’ils invoquent ensuite, et ils se bornent, en terminant, à maudire les « perfides évêques, » qui, peu soucieux du Saint Sépulcre, ne craignent pas de tourner contre des chrétiens les armes de la chrétienté.

Il semble que ce découragement ait été partagé par les anciens tenans de Raimon : après la chute d’Avignon, Louis VIII

  1. De chantar farai (dans Raynouard, Choix, t. V, p. 447).