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il n’y ait pas plus de chefs-d’œuvre. Les seules vraiment belles peut-être sont d’un pauvre chevalier du Velay, Pons de Capdeuil, dont le nom est mêlé à une romanesque histoire d’amour, et qui alla finir, en combattant les Infidèles, une vie ballottée au flot des passions. Non point que les idées en soient bien originales, mais elles s’enchaînent bien, et la logique n’en exclut pas l’émotion : c’étaient peut-être déjà des lieux communs, mais on sent que le poète y a cru, et il les a vivifiés en y mettant toute son âme. Il commence par un acte de foi et de contrition :

« En l’honneur du Père, en qui réside toute puissance, toute vérité, du Fils, toute sagesse et toute grâce, et de l’Esprit, source de tous biens. Je crois aux trois personnes en une… et, pour tous les péchés que j’ai commis, en actions, en paroles, en pensées, je bats ma coulpe et proteste de mon repentir.

« Qu’il soit notre guide, notre sauvegarde, celui qui dirigea la marche des trois rois vers Bethléem, qui, par sa merci, nous a montré telle voie par où peuvent aller à leur salut les plus coupables ! »

Il rappelle l’absolution octroyée aux croisés par le Pape et les légats, l’infinie miséricorde de Dieu, qui pardonna à Longin, le pouvoir miraculeux de cette croix qui peut effacer le péché et « tuer la mort, » la fragilité des biens du siècle, et il termine en se mettant sous la protection de la « Vierge glorieuse, étoile resplendissante, reine pitoyable, espoir et salut des pécheurs[1]. »

À vrai dire, il était bien difficile aux chantres de la croisade de se montrer originaux : les idées qu’ils pouvaient exprimer sont de celles dont on a vite fait le tour, et la plupart étaient ressassées, depuis un siècle, dans les lettres des papes, les canons des conciles, les exhortations des prédicateurs. Elles tiendraient toutes en quelques lignes : « Jésus-Christ nous a rachetés de son sang : nous devons aussi le racheter au prix du nôtre (la chute de Jérusalem était censée faire de Jésus-Christ le prisonnier des Turcs). Que dirons-nous, quand il viendra, au jour du jugement, nous reprocher, en nous montrant ses plaies, de n’avoir pas payé notre dette ? Ce n’est pas qu’il ait besoin de nous, car il pourrait exterminer les Infidèles en envoyant contre eux les légions de ses anges ; mais, dans son infinie miséricorde, il feint d’en avoir besoin : paternel artifice pour nous forcer à faire notre salut. Quelle

  1. En honor del Paire ; Er nos sia capdeths e guerentia (dans Raynouard, Choix, t. IV, p. 87 et 90).