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Marcabrun, sont consacrées à la prédication de la guerre sainte : dans l’une, quoiqu’elle commence, comme un véritable sermon, par une formule de bénédiction[1], la foi s’exprime en termes saccadés et bizarres, et fait vite place à l’invective ; mais la métaphore sur laquelle elle est tout entière bâtie frappa vivement les imaginations, et, cinquante ans après, le « Chant du Lavoir » était encore célèbre : « Dieu nous a élevé de ses mains, ici près, un lavoir, non moins merveilleux que celui d’outre-mer. Avec quelle ardeur ne devons-nous pas nous précipiter vers cette fontaine dont l’eau nous fera plus nets, plus brillans que l’étoile qui guide les navires !… Mais, hélas ! Rapacité et Non-Foi désolent le monde ; le lignage de Caïn se multiplie ; les hardis, les braves suivront Dieu, mais ils sont nombreux, les débauchés engouffre-vin, presse-dîner, souffle-tison, croupe-à-terre, qui garderont les logis, où la mort, plus forte que les forts, viendra les prendre[2]. » Pour les lâches qui préféraient leurs aises aux périls glorieux de la croisade, Marcabrun n’a pas assez d’invectives. Ecoulons ces strophes, d’une éloquence étrange et farouche, qui menace et fustige :

« Laissons se déshonorer là-bas ces riches qui aiment les aises de la vie et les doux sommeils dans les couches moelleuses ; nous, ici, comme nous l’ont promis les prédicateurs, nous recevrons de Dieu, pour notre zèle, l’honneur, les richesses et les mérites.

« Rivalisant de convoitise, ils ne savent ce que c’est que la honte et croient assez faire en louant ceux qui partent. Et moi, je leur dis qu’un jour viendra où ils sortiront de leurs palais, la tête derrière et les pieds devant.

« Marcabrun frémit en pensant à Jeunesse, quand il la voit opprimée par l’amour de l’or ; mais celui-là même qui amasse avec le plus d’âpreté, quand il en viendra à son dernier bâillement, ne donnerait pas un ail de mille marcs, tellement la mort lui rendra les richesses fétides.

« Avec l’aide des vaillans de Portugal et du roi de Navarre, pourvu que Barcelone se joigne à nous, nous irons pousser notre cri de guerre sous les murs de Tolède l’impériale, fit nous déconfirons la gent païenne[3]. »

  1. Pax in nomine Domini (dans le Recueil de M. P. Meyer, n° 10).
  2. M. P. Meyer a donné de cette pièce, dont je ne traduis que quelques passages, une version littérale et complète (Romania, t. VI, p. 121).
  3. Emperaire, per mi mezeis (dans Raynouard, Choix de poésies originales des Troubadours, t. IV, p. 129).