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derniers ont été en outre favorisés par l’erreur, — fréquente chez les peuples d’éducation latine, — qui consiste à croire que le gouvernement et les lois peuvent tout, créent tout dans un pays. La politique est ainsi devenue l’occupation dominante et, au lieu d’une concurrence féconde dans l’industrie ou le commerce, on n’a eu que la lutte stérile des partis politiques, avec les révolutions perpétuelles qui en sont la conséquence. On en est venu à chercher dans une nouvelle révolution la sanction et le remède des abus de pouvoir. « Cette moralité, dit M. Gil Fortoul, dans une intéressante étude sur le Venezuela[1], en vaut une autre. » Nous nous permettrons d’en douter. Aux États-Unis, les habitudes d’empire sur soi, de respect du devoir et de moralité avaient subsisté chez les meilleurs, depuis les Puritains, qui exercèrent jadis tant d’influence. Et autre était l’éducation puritaine que celle des jésuites espagnols. Mais, même aux États-Unis, que les temps et les mœurs sont changés !

La conquête et même l’immigration pure et simple entraînent toujours ce que les psychologues appellent une régression morale. On l’observe dans l’Amérique anglo-saxonne comme dans l’Amérique espagnole. L’immigré, en effet, a brisé les liens de famille et ceux de la tradition nationale : il est ramené à un état d’individualisme qui peut ressembler à l’absence de règle. Son but, c’est le gain, dont sa situation même lui fait une nécessité. M. Bosco a montré, dans ses études sur l’Homicide aux États-Unis, que la régression morale entraîne à son tour une régression juridique, dont le lynchage est la conséquence la plus visible et la plus frappante. Toujours est-il que le taux des homicides atteint, dans la totalité des États-Unis, le chiffre de 12 par 100 000 habitans, dépassant ainsi de beaucoup l’Italie même, l’Espagne et la Hongrie. Il faut d’ailleurs distinguer ici, avec M. Bosco, les diverses parties de l’Union. Les États atlantiques du Nord n’offrent que six homicides pour 100 000 habitans, deux de plus qu’en Espagne ; dans les États du Sud, où les noirs abondent, où les facteurs économiques viennent se joindre à la race même, la situation des nègres ayant constamment empiré depuis l’émancipation, le chiffre d’homicides est doublé. Enfin, dans les États de l’Ouest, où se trouve une société en formation, composée d’émigrans européens et chinois, avec une autorité politique et judiciaire très faiblement constituée,

  1. Revue de Sociologie, 1894.