Page:Revue des Deux Mondes - 1899 - tome 155.djvu/495

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

néo-latines, cela est devenu un lieu commun. Et pourtant, il y a un certain individualisme, celui qui est fait de vie uniquement ramassée en soi, inexpansive, impatiente du joug et de la discipline sociale, étrangère à la coopération et à l’effort en commun, qui est des plus fréquens en Espagne, — comme aussi en Italie et trop souvent en France ; — en ce sens, l’Espagne est profondément individualiste.

A travers la variété des provinces, ce fonds commun se reconnaît partout. Autant l’Andalou est vif et exubérant, autant l’habitant des grandes plaines grises de Castille est sérieux, lent et grave, sous sa « capa aux plis classiques. » En sa demi-misère, il a encore l’attitude fière du conquérant et du maître. Solennel, hautain, très soucieux de l’honneur, apathique devant les réalités de la vie, le Castillan, ayant imposé sa domination à toute l’Espagne, est médiocrement aimé des autres Espagnols : il n’en a pas moins peut-être les plus hautes qualités de la race. Malgré tant de différences régionales, l’Espagnol a une physionomie tranchée et une. Il a conservé partout un idéal de virilité, et même de virilité héroïque ; c’est cet idéal, toujours présent à l’esprit de la nation, qui explique beaucoup de ses tendances les meilleures, comme aussi de ses défauts. Chez tout Espagnol typique, il y a un don Quichotte, idéaliste songe-creux, et un Sancho Pança, observateur et amateur de la réalité.


II

La religion espagnole est restée étrangère à toute métaphysique et n’a pas davantage conservé le sens profondément moral des dogmes. Elle est ritualiste, comme la religion des Romains, mais, au lieu de l’indifférence foncière qui a caractérisé la foi italienne, l’Espagnol a montré toute l’ardeur du fanatisme[1]. Ce fanatisme, en Espagne, ne provient pas généralement, comme chez l’Allemand ou l’Anglo-Saxon, de l’intériorité mystique d’une pensée perdue en Dieu ; il est plutôt l’attachement inflexible et aveugle aux dehors de la religion, au culte et aux pratiques. Le

  1. En Angleterre, par l’effet des circonstances, l’élément dolichocéphale brun ou ibérique joua un grand rôle au XVIIe siècle, et il s’y est manifesté aussi par un fanatisme intense. M. Galton et plusieurs autres anthropologistes ont étudié les portraits du temps de Cromwell et résumé ainsi leur opinion : prédominance des types ibériques. Voyez de Lapouge, les Sélections sociales, p. 93.