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ne pouvaient prononcer ou faire prononcer un jugement hors des formes de la justice. Le servage, considérablement adouci en Espagne, ne garda rien de l’esclavage antique. Devant les périls communs, Goths et Ibéro-Romains acquirent le sentiment de la solidarité et se montrèrent unis. Ainsi s’introduisait dans le caractère des Espagnols un élément de vrai individualisme et de sociabilité tout ensemble. Le courage germanique et le courage ibérique, l’un bouillant et plus expansif, l’autre résistant et plus intensif, se mêlèrent en des volontés également énergiques et également amoureuses de l’indépendance. Les sentimens de la dignité personnelle et de l’honneur se développèrent ; les côtés admirables du caractère espagnol commencèrent de se dessiner. Ce concours de volontés entreprenantes et de volontés tenaces nous explique l’héroïque croisade de sept siècles par laquelle, du rivage où il avait été refoulé, l’Espagnol, pied à pied, reconquiert sa patrie sur les Maures, jusqu’à ce que Boabdil fugitif verse des larmes sur son royaume perdu. C’est une poignée de Goths réfugiée dans les montagnes qui se fait le centre de la patrie, amassant ses forces pour se ressaisir ; ce sont des Germains qui, compagnons de Pelage, ce parent du roi Roderick, étendent peu à peu leur reconquête sur toutes les Asturies, la Galice, le pays de Léon, et préparent la délivrance de l’Espagne entière. Le même amour de la liberté et la même opiniâtreté de lutte devaient plus tard nous chasser nous-mêmes d’Espagne, après la folle et coupable invasion de Napoléon Ier.

D’après toutes ces données concordantes de l’anthropologie et de l’histoire, nous pouvons nous attendre à voir, dans l’Espagne du sud et du centre, dominer la race brune à crâne allongé, c’est-à-dire méditerranéenne et sémite. Possédée par les Maures pendant plusieurs siècles, l’Espagne avait reçu une forte dose de sang africain. Au nord et à l’ouest se trouvent quelques élémens celtes et germaniques. Ceux-ci se sont principalement conservés dans l’aristocratie espagnole.

L’indice céphalique, — rapport de la longueur crânienne à la largeur, et signe d’importance capitale pour la race, — est remarquablement semblable à lui-même dans la péninsule ibérique, et, de plus, il y est généralement bas ; la race dolichocéphale méditerranéenne, à laquelle appartenaient les populations primitives ainsi que les immigrations ultérieures de Phéniciens, de Maures et de Juifs, y est donc restée presque pure. C’est là un