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répondre, non pas par une contre-proposition nouvelle, mais directement, par oui ou par non.

M. Krüger, quelle que soit sa finesse, ne parait pas avoir très bien compris le caractère particulier de son adversaire. Avec les Anglais, si l’on doit finalement céder, il vaut mieux le faire immédiatement, car il est dans leur pratique habituelle d’augmenter leurs prétentions à mesure que la négociation se prolonge. Ils prennent tout ce qu’on leur offre, et ils demandent autre chose. C’est ce que M. Chamberlain n’a pas manqué de faire. Il a déplacé continuellement le terrain du débat, fatiguant son partenaire par des exigences imprévues et sans cesse renouvelées ; et M. Krüger, continuellement en retard, acceptait toujours l’avant-dernière des propositions du ministre anglais. Au point où on en est, et depuis assez longtemps déjà, il a accepté, et même au delà, tout le programme que sir Alfred Milner avait apporté à l’entrevue de Blœmfontein, et qui lui avait alors paru inacceptable. Il ne l’était pas, comme on l’a vu par la suite : dès lors, M. Krüger a certainement commis une faute en ne s’y résignant pas tout de suite. S’il l’avait fait, il se serait probablement épargné bien des difficultés et des déboires. Il s’agissait alors, on s’en souvient, de donner aux uitlanders, c’est-à-dire aux étrangers, la franchise électorale au bout de cinq ans de résidence : on la concède aujourd’hui, mais trop tard, la situation n’est plus la même. M. Chamberlain lui a imprimé une évolution qui l’a totalement transformée. Il ne s’agit plus de savoir s’il faudra cinq ans, ou six, ou sept, pour l’attribution aux uitlanders de la plénitude des droits politiques ; il ne s’agit plus de savoir s’ils auront cinq ou dix députés au Volksraad ; il s’agit de savoir si l’indépendance du Transvaal sera maintenue ou si elle sera supprimée. Au fond, M. Chamberlain n’a jamais eu d’autre préoccupation que celle-là. Dès le premier jour, il a parfaitement su ce qu’il voulait, et il l’a voulu très fortement : mais il n’osait pas le dire encore avec la franchise hardie qu’il y met maintenant. L’opinion, en Angleterre, était hésitante et inquiète. Ce qu’il y a d’incontestablement peu évangélique et de certainement odieux dans l’opération à accomplir lui causait quelque embarras, sinon quelques scrupules, et nous croyons même à la sincérité des scrupules. Il fallait les dissiper, ce qui ne pouvait pas se faire en un jour. Pour cela, le temps était nécessaire, la fatigue aussi, la lassitude des esprits, la confusion résultant d’une série de propositions qu’on ne comprenait pas très bien, mais qui servaient à découvrir et à dénoncer la mauvaise volonté du gouvernement transvaalien.

Mauvaise volonté incontestable. M. Krüger se défiait ; il avait