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qu’on l’obtiendra. La France a été assez longtemps troublée et agitée par cette triste affaire : il est temps de lui rendre un peu de repos. Elle a droit de l’exiger, et le devoir du gouvernement est de le lui assurer.

Nous n’avons pas été, pour notre compte, émus outre mesure de l’explosion de sensibilité qui s’est manifestée en faveur de Dreyfus dans tous les pays de l’univers à peu près sans exception. On a traité la France avec une dureté toute pharisaïque, et chacun semblait remercier le Ciel, avec une orgueilleuse componction, de ne l’avoir pas fait à la ressemblance d’un pays où régnait l’iniquité. Nous sommes bien loin, certes, de dédaigner l’opinion du reste du monde à notre égard, mais nous ne renonçons pas au droit de la juger elle-même et de la ramener, dans chaque cas particulier, à sa juste valeur. Il est parfaitement vrai qu’aucun autre pays ne nous ressemble, si l’on veut dire par là qu’aucun autre n’aurait toléré l’ouverture et la prolongation d’un pareil procès. C’est en France seulement, nation de traditions généreuses, que ce phénomène a été possible et qu’il a pu durer si longtemps. Partout ailleurs, il y a des erreurs judiciaires, n’en doutons pas, et on pourrait même en citer quelques-unes qui sont pour le moins très probables : nul pourtant ne saura jamais si elles sont réelles, car on se garde bien de faire autour d’elles le moindre bruit. On étouffe purement et simplement les affaires de ce genre, et on se contente de prouver son amour de la justice et de la vérité en l’important et en l’exerçant chez nous, à nos dépens. Nous le prenons pour un hommage. Cela prouve, en effet, que, de l’avis général, le terrain est mieux préparé en France que partout ailleurs à ces réhabilitations de victimes, qui restent pourtant presque toujours suspectes. Quand un autre pays aura donné le spectacle que nous avons donné, quand il aura sacrifié pendant plusieurs années son repos, quand il aura compromis ses intérêts les plus sérieux pour permettre à un condamné de prouver une innocence hypothétique, nous ferons à ses leçons et à ses remontrances l’accueil qu’aura mérité un aussi chevaleresque dévouement à la justice. Mais ce pays, où est-il ? Nous regardons vers tous les points de l’horizon ; nous ne le voyons nulle part. Et alors, tout en respectant l’opinion de l’étranger, nous demandons à rester libres chez nous, et à faire nos affaires à notre convenance. Nous ne croyons pas être dans le monde civilisé un objet de scandale. C’est pourtant le reproche qu’on nous fait. S’il nous vient de nos compatriotes plus ou moins, égarés, nous pouvons en être touchés ; nous le sommes moins, s’il nous vient du dehors. Je suis