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le mariage lui-même. « Je ne veux plus être votre mari ! — Je ne veux plus être votre femme ! » et le lien est rompu. Les gens d’un rang élevé réprouvent ces fréquens divorces, et il est rarement demandé lorsqu’il y a des enfans.

La femme shane est très courageuse. Elle travaille autant et plus que l’homme, et elle a, comme la birmane, beaucoup d’influence dans le ménage.

Les enfans sont très respectueux envers les parens et ils pratiquent à leur égard tout un cérémonial dont ils ne se départent jamais.

Le père peut choisir pour héritier celui de ses enfans qu’il regarde comme le plus digne, et a le droit de substitution à un degré. C’est ce qui est arrivé pour l’avant-dernier « sawbwa » : son premier fils désigné a régné et le second lui succède. Maintenant les sawbwa sont obligés de demander au gouvernement anglais le droit de choisir leur héritier, et ce choix doit être ratifié par lui.

Mais continuons notre route. Le sentier qui traverse le pays de ces peuples nous force à une perpétuelle escalade dans des dédales de rochers d’où il faut redescendre sans cesse sur des rivières et dans des fondrières. Les chevaux s’affolent au milieu des troncs d’arbres cachés sous la vase et ces rencontres nous causent bien des chutes. On franchit la même rivière cinquante et soixante fois. Elle fait des méandres très courts, autour desquels le sentier serpente en se jouant pour remonter toujours sous la haute forêt. Tantôt ce sont des arbres à la tige droite et superbe, qui s’élève à 60 mètres de hauteur, au tronc si large parfois que dix hommes ne peuvent l’embrasser ; tantôt on se croit dans les fossés d’un château fort, aux talus couverts de mousse et de fougères. Puis le fossé se rétrécit, et bientôt on ne peut plus passer que les jambes sur l’encolure du cheval.

Les bois abattus en travers du sentier me rappellent les exercices d’enjambement des pauvres chevaux de cirque ; mais ici les arbres sont terriblement nature, et, sur quelques-uns, les chevaux doivent monter faute de pouvoir les sauter. Ailleurs encore, et cela arrive souvent, ces géans sont à moitié renversés sur le sentier, et pour passer il faut encore, comme au cirque, s’aplatir sur sa monture.

Mes souvenirs de l’Himalaya ne me rappellent rien de comparable à ces sentiers, où les arbres tombés détournent sans cesse le chemin, où les zigzags et les S sont continuels, où l’on