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Murillo, dix-neuf Velasquez, dont son merveilleux portrait d’après lui-même, vingt-six Ribera et quatre-vingt-un Zurbaran !

Est-ce là que s’est formé Ribot ?

C’était un virtuose du pinceau, accrochant de fermes lumières sur des fonds uniformément noirs... Par une singulière coïncidence, les trois premières lettres de son nom sont celles de Ribera ; et il semblerait qu’il n’a jamais regardé autre chose que les toiles de ce maître. Il en reproduit l’effet de cave, la touche dure, sans en donner toute la largeur et nullement l’expression vivante et tragique. Ce qui est manière chez l’Espagnol devient, malgré la verve du pinceau, manie chez le Français. Il exagère de plus l’aspect de terre cuite de son modèle.

Il eut, à la fin de sa vie, de très chauds partisans. Ils ont peut-être raison de lui accorder beaucoup de talent. Quant à nous, nous le trouverions plus intéressant si, au lieu de redire ce qui avait été mieux dit, il avait au moins, une fois en sa vie, ouvert sa fenêtre.

Ce que nous préférons de son œuvre, c’est son début. Il s’était alors adonné aux intérieurs de cuisine. Je me rappelle de blancs marmitons d’un brio et d’une solidité de peinture très appétissans. En ce temps-là, Ribot promettait de devenir un émule de Lenain.

C’est vers ce même temps que j’ai vu apparaître Gustave Moreau. Après avoir débuté par une Mise au tombeau, tout à fait dans la manière d’Eugène Delacroix, il s’était laissé longtemps oublier, se recueillant dans la retraite, en Italie, loin de tous. Un jour, on le vit arriver avec un Œdipe devant le Sphinx qui fit grande sensation, toile extrêmement travaillée, composée sous l’action d’influences diverses où dominait celle de Mantegna. L’exécution subtile et nerveuse de certaines parties du paysage rappelait Fromentin ; mais j’ai su depuis que le peintre du Sahara, à qui on faisait remarquer cette ressemblance, répondit avec sa bonne foi généreuse : « Je dois plus à Moreau qu’il ne me doit ; c’est lui qui m’a appris à émailler la croupe d’un cheval. » A côté de brillantes qualités qui ornent ce tableau, les personnages se modèlent sèchement, comme taillés dans l’ivoire, avec leurs membres roides et grêles, ornés de riches bijoux ciselés comme par un habile orfèvre. La couleur précieuse dissimule la fatigue et l’opiniâtreté du travail. C’est poignant quand même. Le sphinx