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Elle est veuve de Thanawaddi, — embryon de dieu, — quatrième roi avant Theebaw. Elle a 78 ans.

En Europe, nous ne savons pas ce que c’est que la vieillesse : il y a de beaux vieillards et d’agréables vieilles femmes. En Orient, la vieillesse atteint, chez les hommes et les femmes, un degré de décrépitude heureusement inconnu pour nous. La reine est un squelette habillé. Ses deux jambes, sous la mince draperie de soie, semblent deux manches à balai. Ses mains et ses bras impressionnent à regarder. Elle doit sonner en marchant tant elle est sèche ! mais sa langue fait tant de bruit qu’on n’entend pas autre chose.

Son petit-fils est un assez mauvais sujet, qui ne fait jamais la moindre poussière à son bureau, et qu’on va mettre à la porte. Elle prétend qu’il n’aimerait rien tant que d’aller à son office, mais ce pauvre enfant a le malheur d’avoir des dettes, et alors, quand il sort de chez lui pour aller au bureau, ses dettes, malgré lui, lui trottent par la tête, et, au lieu d’aller au bureau, il va trouver ses créanciers. Quoi de plus naturel ? A tout cela, il n’y a qu’un remède, un seul : le nommer « Myoke, » petit magistrat ; alors il paierait ses dettes, et serait si content d’aller au bureau ! En vain, le commissioner affecte de causer avec moi, en vain sa femme, qui n’entend pas un mot de birman s’occupe de tout autre chose, la vieille reine ne tarit jamais. Quand elle comprend qu’on ne veut pas l’écouter, vous croyez qu’elle va se troubler, se froisser peut-être ? Allons donc ! rien n’est si loin de sa pensée. Elle récite son chapelet dans les intervalles. Cette prière consiste en trois seuls mots qui n’ont même pas le mérite de donner des pensées consolantes : « Aneïssa, Dokha, Anatta ! » Ce qui veut dire ; Tout passe, tout est misère, tout est imparfait. Et quand la vieille reine veut bien répondre au signal d’adieu donné par le commissioner, elle salue en grande dame. C’est du dernier macabre.


La conquête a-t-elle au moins fait le bonheur des Birmans ?

Un Anglais, arrivé dans ce pays avant l’annexion, me disait que la Birmanie était bien plus heureuse sous ses rois, mais que les fonctionnaires n’en veulent convenir à aucun prix. C’est toujours la vieille histoire du peuple conquérant qui prétend apporter au vaincu tous les bonheurs et toutes les gloires dans les usages d’une civilisation qu’on était loin de lui demander !