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et Pagan, qui fut capitale du Ve au XIIIe siècle, étend les ruines de sa citadelle, de son palais et de ses remparts, avec ses centaines de pagodes, sur plus de 10 kilomètres le long du fleuve. Elle fut, entre le Xe et le XIIIe siècle, le plus célèbre centre des lettres et de la vie religieuse bouddhique de toute la péninsule indo-chinoise. Sa plus vieille pagode, d’un accès difficile aujourd’hui, fut longtemps lieu de refuge pour les bonzes, les rois et les nobles, dans les périodes de conquêtes chinoises et shanes. « Innombrables comme les temples de Pagan, » est un proverbe de la Birmanie. Et maintenant, dans la ville morte, un nombre extraordinaire de poonghee-kiung, de monastères grands et petits, garde ces ruines. Ce sont de curieux chalets de bois de tek, surchargés de sculptures, et habités encore par une foule de bonzes.


Je suis reçue à Mandalay chez le chief commissioner, — devenu depuis lieutenant gouverneur, le plus haut fonctionnaire de Birmanie, — dans la double enceinte entourée d’eau de la ville royale, fondée, en 1860, par le grand Myndoon. Si cet habile monarque avait vécu, les Anglais, de leur aveu même, n’auraient jamais pu s’emparer du royaume. Ville d’apparat, toute dorée, toute sculptée, Mandalay ressemble à un décor de théâtre, à un palais des Mille et une Nuits, créé uniquement pour le roi et sa cour. Le trône de Myndoon, sous sa haute flèche à trente-six toitures superposées, symbolisait le mont Mérou, la pyramide centrale de l’univers.

Hors de ce palais, tout le monde était peuple et coolies ; devant toutes les maisons, il y avait la « palissade du roi, » derrière laquelle se réfugiaient les habitans quand la police annonçait l’approche des « pieds dorés » du souverain. Tout le monde, même les Européens, était obligé, au passage d’un ministre, de descendre de cheval et, par manière de respect, de tourner le dos. Les personnes les plus qualifiées devaient, il y a vingt ans encore, ôter leurs chaussures devant le roi et se tenir à genoux. Jusqu’au moment où les Anglais se sont résolus à le prendre de haut, leur résident et les consuls de France et d’Italie se sont soumis à cette orientale étiquette.

Le monticule de Mandalay est couronné par une statue qui désigne du doigt l’emplacement où le roi reçut du ciel l’ordre de construire son palais. Une autre statue, placée un peu plus loin, regarde l’est. Elle désignait, croyait-on, le côté par lequel le