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de verre de couleur que les femmes se mettent, dans le lobe de l’oreille, et qui tiennent par la tension des chairs.

Comme le célèbre Bourouboudour de Java, et contrairement aux pagodes de Mandalay et de Pagan, la grande pagode de Rangoon, entourée de ses cinquante pagodons, n’a pas de salles intérieures. Dans quelques niches et sous des baldaquins, les Bouddhas sont assis, accompagnés de leurs disciples, Yahanda et Moygala, agenouillés de chaque côté du « Sage » dans l’attitude du respect et de l’adoration. Sous quelques vérandas, aux colonnes de mosaïque formée de morceaux de verre encastrés d’or, figurant des fleurs en relief d’un fin travail, Gautama, le Bouddha au visage doux et presque féminin, est représenté, tantôt debout, la main levée en signe de paix, tantôt couché et appuyé sur un bras, dans l’attitude du repos ; mais toujours, il est entouré de tout le matériel de fleurs et amulettes qui parent ses autels. Les corbeaux et les moineaux vivent avec lui en douce intimité, et se perchent amicalement sur sa tête et ses épaules et sur celles de ses disciples.

Au milieu du bazar de la grande plate-forme, auprès des pagodons qui entourent la Sway-Dagon-Pagoda, autour des divinités qui trônent sous des édicules et des pavillons aux fines sculptures et aux étincelantes dorures, une foule parée s’agite, vêtue pour le grand nombre de soie légère aux brillantes couleurs. Ici, ce sont des hommes et des femmes agenouillés qui prient avec ferveur ; là, d’autres fument des cigares ; plus loin, on fait tranquillement sa toilette ; ailleurs, un cercle de causeurs traite d’affaires ou devise joyeusement. C’est, en un mot, la vie sous tous ses aspects à la fois. Mais prenez garde ! et n’allez pas imprudemment commettre quelque impiété ; car voici que, tout auprès des dieux, se montrent les farouches « bilou, » les gardiens des temples, aux figures grimaçantes et aux crocs redoutables ; à côté d’eux les « léogriphes » gigantesques, les chimériques lions sacrés, veillent sur tous les escaliers.

La tradition raconte qu’un prince au berceau ayant été abandonné dans une forêt fut secouru et nourri par une lionne, et que plus tard, lorsqu’il put s’enfuir et gagner d’autres pays, sa pauvre mère lionne mourut de chagrin, — of a broken heart. C’est en l’honneur de cet amour que lions et lionnes figurent au pied de toutes les pagodes.

La navigation, de Rangoon à Prome, est sans intérêt, et une