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du voyageur, c’est la Sway-Dagon-Pagoda. Cette grande pagode est la plus belle et la plus sainte de l’Indo-Chine ; car elle a l’incomparable honneur de posséder huit cheveux du Bouddha ! Elle domine de loin tout le paysage et dresse fièrement sa coupole dorée à 98 mètres au-dessus d’un mamelon qui commande la ville. De ce sommet elle se mire dans les lacs qui baignent son pied, ainsi que les diverses pagodes et édicules qui s’élèvent tout autour d’elle. Un immense htî, de 46 pieds de haut[1] surmonte la coupole. Le tout est en or, garni de pierres plus ou moins précieuses, qui miroitent dans le ciel, riches présens de l’ancien souverain de Mandalay, « le Seigneur au parasol d’or. »

On accède à la troisième et grande plate-forme de la pagode par quatre majestueux escaliers aux larges terrasses, sur lesquelles commence l’encombrement du bazar pour se continuer sur la plate-forme supérieure à côté des pagodes et des dieux. Le trafic qui s’y fait constitue un important revenu pour le culte. On trouve là les fleurs pour les pagodes, les grands soleils aux rayons d’or bruni, la fleur sacrée du lotus de couleur violette, blanche ou rose, et toutes les fleurs que les Birmans savent arranger avec un art charmant ; les longues allumettes de santal odorant ; bibelots et objets de piété en papier colorié ; les curieuses marionnettes machinées de nombreuses ficelles et manœuvrées avec autant d’habileté qu’au Siam et à Java ; les masques grotesques, fantastiques, effrayans, qui servent aux fêtes et aux danses religieuses, enfin des marchandises de toutes sortes, jouets d’enfans, fruits, ustensiles de ménage et autres objets, qui sont étalés sur les marches, usées par les fidèles, de cet interminable chemin couvert.

Le péché mignon des Birmans, la coquetterie, ne pouvait manquer de trouver aussi son compte dans ce lieu de pèlerinage, et il l’y trouve largement. Il se fait ici un grand commerce de fausses queues, que beaucoup ajoutent à leur chevelure naturelle, parce qu’il est de mode, pour hommes et pour femmes, d’avoir de beaux cheveux, relevés en chignons bien fournis, sur le sommet de la tête. On y vend aussi beaucoup de gros boutons

  1. On donne le nom de htî à un type de l’architecture bouddhique que l’on appelle dagoba aux Indes et que l’on rencontre depuis le Tibet, sous le nom de tchorten, jusqu’au sud de la péninsule indo-chinoise où il prend le nom de phnom au Cambodge, de htî en. Birmanie et de tât au Laos. C’est une légère coupole terminée par une haute flèche droite qu’entourent des parasols retombans, symboles sacrés d’honneur et de puissance dans tout le monde bouddhique.