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anges tutélaires de la nation. Mais où sont les écrivains sincères et désintéressés ? Où sont ceux qui ont une patrie et point de parti ? Je me suis, comme beaucoup d’autres, laissé prendre à l’apparence ; j’ai cru à la bonne foi dans des hommes d’une réputation honorable et d’un caractère estimé ; j’ai compté sur le besoin du repos après tant et de si effroyables agitations ; j’ai espéré en la raison dans un siècle éclairé. En voyant nos intérêts discutés, aux yeux de la nation, dans de nombreux écrits par des esprits si distingués, j’ai cru la France sauvée. On n’est pas d’accord, me suis-je dit, mais le choc des opinions va faire jaillir la lumière, et la lumière montrera la vérité, qui réunira tout à elle. Mon illusion a peu duré. Cette sorte de congrès philosophique que j’avais créé dans mon imagination s’est tout à coup transformé en champ de bataille, où, à la place de ces prétendus plénipotentiaires de la raison, je n’ai plus aperçu de tous côtés que les soldats aveugles de la passion et de l’esprit de parti ; je les ai vus à découvert, ces grands hommes en qui j’avais mis mon espoir, et j’ai été frappé du même étonnement qu’Enée, lorsqu’une divinité, après avoir dissipé le nuage qui offusquait ses yeux mortels, lui montra tous les dieux se disputant à l’envi le fatal honneur de porter le dernier coup à la malheureuse Troie.


Apparent diræ facies, inimicaque Trojæ
Numina magna Deum... »


Ses Petites Lettres, au nombre de dix-sept, obtinrent un succès considérable, mais la plus connue, celle qui mit le sceau à la réputation de polémiste de Charles Loyson, fut sa Lettre à Benjamin Constant. Elle parut dans les Débats sous la date du 24 mai 1819, avec cette épigraphe malicieuse : Sola inconstantia constans. Cette fois Loyson passait de l’offensive à la défensive. Il répondait à un article injurieux que Benjamin Constant lui avait consacré dans la Minerve et où celui-ci l’accusait d’avoir inventé, falsifié., injurié et d’avoir écrit ses « Petites lettres » sur commande. Mais la réplique fut à la hauteur de l’attaque. Après l’avoir félicité ironiquement d’avoir perdu cet air étranger « que nous autres Français désignons par le terme de style réfugié, » Loyson démontra à Benjamin Constant qu’il n’avait rien inventé, rien falsifié, et qu’en opposant sa conduite et ses écrits d’hier à sa conduite et à ses écrits d’aujourd’hui il s’était borné à reproduire textuellement les passages que lui. Constant, avait jugé bon