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j’aurais pu facilement les combattre et en triompher. Mais elle s’est frappée de l’idée que le séjour de Paris lui serait funeste, et que sa santé, qui depuis longtemps, en effet, est très délicate et très chancelante, succomberait dans ce double changement de climat et de régime. Il me semble que de telles préventions, fussent-elles destituées de tout fondement, sont de nature à être respectées, et que je ne pourrais passer outre, sans me charger d’une grande responsabilité.

« Il ne fallait pas moins. Monsieur, qu’une considération de cette importance pour me déterminer au sacrifice de l’honorable emploi que je dois à votre bonté. Ce sacrifice est si grand à mes yeux, qu’en trouvant dans mon âme la force d’y souscrire, j’ai commencé à croire que je n’étais pas indigne d’une chaire de philosophie, et qu’il appartenait peut-être d’en donner leçon à qui savait aussi en donner l’exemple.

« Puis-je me flatter, Monsieur, que daignant entrer dans les motifs qui m’ont dirigé, vous me pardonnerez d’avoir préféré aux plus brillans avantages la paix d’un ménage délicieux, quoi qu’en ait dit La Rochefoucauld, et le bonheur d’une femme dont je n’ai reçu d’autres chagrins que celui-là ? C’est moins ici au fonctionnaire public qu’à l’homme et à l’époux que j’ouvre mon cœur et soumets ma conduite.

« Il est une autre grâce, Monsieur, que je vous demande encore plus instamment, c’est de ne pas savoir mauvais gré à M. Loyson de ce qu’il a fait pour moi. Il connaissait depuis longtemps mon désir d’habiter la capitale, et il ne pouvait prévoir la répugnance de ma femme pour un séjour si attrayant.

« J’ajoute que telle est l’illusion que l’amitié lui fait sur mes faibles talens, qu’il a cru, de la meilleure foi du monde, procurer à l’Ecole normale une excellente acquisition, erreur étrange sans doute, et dont je sens mieux que personne toute la gravité, mais dont le principe et la fin sont bien pardonnables. Voilà ce qui doit lui servir d’excuse auprès de vous, et lui conserver votre estime et votre bienveillance.

« S’il ne m’est pas donné, Monsieur, de propager parmi nous cette philosophie noble et généreuse qui, sous vos auspices et grâce à l’influence de vos leçons, va désormais fleurir dans nos écoles, je veux du moins lui vouer un culte domestique et consacrer à son étude toute mon application et tous mes loisirs[1]. »

  1. Lettre inédite.