Page:Revue des Deux Mondes - 1899 - tome 155.djvu/355

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

civilisation et il ne peut se transporter d’une langue dans une autre. Or, qu’on lise Homère, on y retrouve partout cette espèce de beau. Homère est donc intraduisible en vers. Pourquoi en vers, direz-vous ? La conséquence paraît aussi bonne pour la prose que pour le vers. Eh bien, j’ajouterai, si vous voulez, la prose française. Et je crois que pour le rendre, il faut une traduction presque interlinéaire, une traduction qui serait un monstre, considéré comme un ouvrage original, semblable, enfin, à ces traductions latines si barbares qu’on lit avec plus de plaisir que la prose travaillée et brillantée de M. Lebrun, parce qu’elles nous donnent au moins une idée d’Homère et des mœurs de son temps. Tout cela sent un peu le paradoxe. J’en ajouterai un autre, je soutiendrai qu’Homère est le plus grand qui ait existé, et cependant celui qui a mis le moins de poésie de style dans ses ouvrages. M’avez-vous compris ? Je crains bien que non. Je me comprends à peine encore moi-même. Je n’ai pas encore, comme vous le voyez, mis de liaison entre mes idées. Excusez mon style, je vous écris au vol de la plume, dans une conférence où l’on crie de tous côtés à mes oreilles, et où il faut que je sois aux aguets, de peur qu’on ne s’aperçoive que je m’occupe d’autre chose que de la leçon[1]... »

Telles étaient les théories, discutables, mais assez neuves, que Charles Loyson soutint très éloquemment du reste dans sa thèse de doctorat sur la manière de traduire les poètes anciens. Et comme pour joindre l’exemple au précepte, il entreprit vers le même temps sa belle traduction de Tibulle dont, par malheur, nous n’avons que des fragmens, le chrétien qui dormait en lui ayant jugé à propos d’en faire le sacrifice à son lit de mort, au grand chagrin de ses camarades qui l’avaient lue et de son ami Papin qui l’avait encouragé dans cette œuvre.


II

J’ai dit que Papin était son mentor et son correspondant habituel. C’est une raison pour que je lui fasse dans cette étude la place qu’il occupait dans le cœur de Charles Loyson. Il en vaut la peine, d’ailleurs, car s’il ne lui manqua que de briller sur un plus grand théâtre que celui de sa province, on verra que ce ne

  1. Lettre inédite.