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libre concours, le principe d’autorité sans être liée à un système ou à un maître ; qui inspire aux hommes de toutes conditions respect, discipline morale, et mérite d’être admirée, aimée, crue pour avoir rempli le ciel d’espérance et la terre de dévouemens.

Au dehors, la Russie veut dominer l’Asie. Les conquêtes opérées par la force seule sont fragiles comme elle, et l’Asie est la terre qui a vu le plus de puissances irrésistibles s’écrouler l’une sur l’autre sans rien fonder. Les hégémonies légitimes et durables sont celles qui portent une civilisation. La donner aux peuples asiatiques est le généreux désir de la Russie, et le moyen le plus sûr de civilisation est la foi. Mais il faut à cette foi, pour devenir conquérante, la fécondité des vocations généreuses, la science du sacrifice, la discipline des ordres religieux, la force cachée dans les saintes mains des femmes, tous les miracles de l’action. Avec l’orthodoxie, la Russie n’a rien de ces forces : le catholicisme les possède et les lui donnerait.

Alors ce n’est pas l’avenir de l’Asie seule qui serait seul changé, mais l’avenir du monde. Le catholicisme avait fait de tous les peuples une société unique, leur avait formé une même conscience, avait subordonné à une morale universelle l’individu et la race. Il y était parvenu, grâce au caractère international de son Eglise. L’orthodoxie, par la constitution d’Eglises nationales a démembré cette société. La division des Latins et des Grecs a amené le triomphe de l’Islam. Elle a permis à la Réforme d’enfoncer sa propagande comme un coin, entre les Eglises divisées ; elle a aidé les Anglo-Saxons et les Germains à prendre l’hégémonie du monde. L’Islam, fondé sur la conquête, a établi la force pour mesure du droit entre les races et entre les hommes. La Réforme, fondée sur la libre interprétation des Livres saints, a établi pour autorité suprême l’intelligence individuelle. Malgré quelques vertus, les peuples islamiques perpétuent l’esclavage et la paresse. Par l’activité de l’intelligence, les peuples protestans combattent pour la richesse et la domination. Chacun songe à soi seul, le faible est livré au fort, le monde manque de justice et d’amour. Défendre ces deux biens fut le privilège de la France parce que, la plus catholique des nations, elle a l’âme la plus universelle. Mais un peuple ne suffit pas à un tel labeur. Une générosité semblable paraît animer la race dont le jeune chef conviait hier, mais en vain, les nations à limiter les conquêtes et la guerre. Le jour où la Russie, choisissant le vrai moyen de