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la foi de ces peuples au moment où elles étaient abandonnées par Byzance. À ces faits apparaît le caractère de mouvemens qui semblaient religieux et étaient politiques. L’Orient abondait en nations que l’unité de l’empire avait absorbées malgré elles, aucune n’aimait ses voisins ni son maître. Quand le christianisme les confondit dans une unité plus dominatrice encore, elles sentirent qu’elles allaient se perdre comme des fleuves dans la mer. Les hérésies furent la ressource de leur patriotisme, un moyen qu’elles saisirent pour se distinguer, chacune de leurs rivales, et toutes du conquérant. Si, au Ve siècle, les Chaldéens prétendent, avec Nestorius, qu’il y a deux natures dans le Christ, si les Syriens, les Arméniens, les Égyptiens affirment, avec Eutychès, qu’il y a dans le Christ une seule personne, et, malgré la similitude de cette doctrine, fondent trois Eglises distinctes, c’est qu’ils travaillent à sauver par leur foi leur race contre l’anéantissement dans l’Empire. Un jour vint où la répulsion que leur inspirait Byzance, Byzance la ressentit contre l’Occident. Là un nouvel empire grandissait, fondé sur la puissance militaire et religieuse : Byzance eut peur qu’il s’étendît sur elle et rétablît dans le monde, avec le concours des papes, l’unité romaine. L’empire grec fit ce qu’avaient fait ses races sujettes pour garder leur nationalité, il abjura la religion de ceux qu’il redoutait comme envahisseurs. Le schisme de Photius se révéla lui-même politique plus que religieux. La querelle sur la procession du Saint-Esprit fut un prétexte. La vraie dispute fut sur cette maxime de gouvernement : Imperium sine patriarcha non staret. Tout État doit avoir son Église, et les limites de l’Église doivent être celles de l’État. Le danger de l’Islam donna bientôt à penser aux empereurs byzantins qu’ils avaient eu tort de s’isoler en divisant le monde chrétien, et qu’il leur fallait rentrer dans la catholicité pour être défendue par elle. Ils conclurent cette réconciliation dans les deux conciles de Lyon et de Florence. Mais, en 1439 comme en 1274, leur repentir se heurta au cri de division qu’ils avaient poussé jadis : l’entente avec Rome souleva à Constantinople une guerre civile, qui ouvrit les portes au Turc.

Cette conquête apporta un obstacle de plus à l’union des Églises chrétiennes. Les Turcs avaient appris à vaincre avant d’apprendre à gouverner : par orgueil autant que par incapacité, ils ne se donnèrent pas la peine d’établir une police, une administration, des finances ; il leur eût semblé se mettre au service des