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embarras ni infériorité à l’entretien des hommes. Ainsi élevées, elles auraient horreur d’être ces esclaves parées et muettes qui vivaient en troupe dans les harems, et entouraient de leur beauté, de leurs attitudes et de leurs danses, un maître absolu. La femme est une intelligence égale à celle de l’homme, lui fait comprendre les ménagemens dus à une volonté consciente d’elle-même, lui fait goûter les joies de cette métamorphose qui a changé un animal de plaisir en une compagne de vie. Il ne lui suffit plus d’être l’épouse préférée, elle veut être l’épouse unique, et elle l’obtient. La monogamie, que la pauvreté imposait de tout temps à la majorité des Turcs, devient, par l’influence des femmes, la condition habituelle des Turcs riches. Ces habitudes nouvelles préparent la reconstitution de la famille. Après avoir conquis sur l’Islam son mari, la femme voudra conquérir ses enfans sur l’Islam ; plus elle comprendra son devoir envers eux, plus elle se sentira l’ennemie d’une religion qui, en avilissant l’épouse, dégrade d’avance la mère ; et le jour où, dans la dignité du foyer rétabli, elle aura transmis sa conscience aux fils élevés par elle, la femme aura vaincu l’Islam.


Cette attaque silencieuse et par les siens est la seule qui soit encore possible contre l’Islam. Toute tentative publique d’étrangers pour le convaincre d’erreur réveillerait tout ce fanatisme qui s’assoupit : car l’Islam n’est pas seulement une foi, mais une société, mais un gouvernement, et chaque coup porté à l’Eglise y frappe l’Etat. En revanche, la transformation accomplie dans les esprits permet au catholicisme d’opposer désormais, sans opposition violente de la Porte ni des peuples, son dogme aux chrétientés dissidentes. Cette propagande ouvertement religieuse, récompense d’une générosité patiente, troisième forme de l’apostolat catholique, sera l’œuvre du XXe siècle. Et déjà sont visibles les conditions du succès, et préparés les moyens de conquête.

L’Orient est la patrie des sectes. Le souffle sophistique des Grecs gonfla les bulles de savon brillantes et vides qu’on nomme les premières hérésies. Leur succès fut étrange. Elles ne gagnèrent pas, comme font d’ordinaire les doctrines, par des conquêtes individuelles, des hommes de tous pays : elles furent acceptées ou répudiées par grandes régions. Elles ne demeurèrent pas un débat de théologiens ou de philosophes : elles furent la passion de multitudes incapables d’en comprendre les subtilités. Elles devinrent