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rapprochement qu’amène entre eux l’exercice de leur zèle, appris à se mieux connaître et, sans rien céder des doctrines qu’ils gardent intactes, ils ne se croient pas contraints, pour défendre la vérité, de refuser justice à leurs rivaux. Il n’y a pas bien longtemps, les représentans des divers cultes s’ignoraient : maintenant leurs rapports sont empreints de courtoisie, d’égards, de bienveillance ; et depuis le délégué du Saint-Père, qui échange des visites avec les patriarches orthodoxes, jusqu’à cet iman de la grande mosquée à Constantinople qui, longtemps spectateur des soins donnés par les sœurs de charité aux malades musulmans et se sentant près de sa fin, faisait demander trois d’entre elles, et leur disait : « Je n’ai pas voulu quitter cette terre sans avoir revu ce qu’elle a de meilleur ; » toutes les Eglises, témoins du bien permis à l’erreur même, sentent passer sur elles un souffle nouveau de charité, de douceur et de paix.

Ces influences, en pénétrant avec lenteur l’Islam lui-même, lui donnent un pressentiment confus d’une autre civilisation. Non seulement les Turcs élevés dans les écoles chrétiennes, et qui, de plus en plus nombreux, occupent les charges de l’armée et de la politique, échappent aux instincts de la férocité musulmane, mais il a été formé en eux une raison et une conscience nouvelles. Le sentiment du droit, de la dignité humaine, de la liberté individuelle, qui était le fondement de leur société avec leurs condisciples et leurs maîtres, les rend hostiles à l’arbitraire sans mesure du pouvoir, à l’abus sans merci de sa force, qui est la base de la société musulmane. Surtout l’éducation chrétienne suscite contre le mahométisme, dans le retranchement où il a établi sa toute-puissance, une ennemie plus patiente et plus invincible que l’homme. C’est sur la dégradation de la femme que l’Islam a été fondé ; c’est par la révolte de la femme que l’Islam sera détruit. Les femmes musulmanes qui ont été élevées par des mains chrétiennes ont eu une vision : la dignité de la femme leur est apparue. Rentrées dans la vie musulmane elles ne consentent plus à être des choses. Elles ont acquis par leurs études de quoi justifier leur ambition : elles sont instruites, leur curiosité excitée et non satisfaite par l’éducation se répand en lectures qui, même frivoles, évoquent, avec toutes ses séductions ou ses grandeurs, le rôle de la femme ; leur conversation solide de ce qu’elles ont appris, juste de la raison qu’on a exercée en elles, gracieuse de l’esprit qu’on a éveillé et qui s’y joue, se mêle sans