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exactes et des langues vivantes : établi par les Frères des Écoles chrétiennes bien avant qu’il ne prît place dans les programmes des gouvernemens novateurs, il est donné sans concurrence par les disciples de La Salle dans leurs nombreuses maisons d’Orient. La supériorité des protestans est dans leur audace d’explorateurs à s’établir dans des régions nouvelles, leur abondance d’argent, assez grande pour leur assurer tout ce qui s’achète, leur goût de perfection dans l’enseignement primaire. Ils nous devancent, réussissent où ils sont seuls, nous attirent par ce succès, mais où nous sommes venus, nous demeurons, et, d’ordinaire, ils cèdent la place. C’est ici notre triomphe le plus imprévu et le plus grand : comment leurs écoles luxueuses et leurs instituteurs habiles se laissent-ils enlever leurs élèves par nos écoles plus humbles, nos maîtres et nos religieuses souvent moins instruits ? Parce que l’éducation ne se fait pas seulement avec de la science, mais avec du dévouement. L’enfant devine, les parens voient que l’instituteur luthérien ou calviniste croit avoir rempli tout son devoir envers ses élèves, s’il est assidu, clair, juste ; qu’en préparant leur avenir il songe aussi au sien ; et que son cœur est surtout à sa propre famille. L’enfant devine et les parens voient que le maître catholique ne pense ni à sa retraite, ni à son traitement, ni à la commodité de la vie, ni à sa famille ; le religieux ou la religieuse amasse pour richesse ses privations ; ce qui déplairait à son goût attire son dévouement, sa tâche est toute sa vie, ses élèves deviennent toute sa famille. Voilà pourquoi, moins instruite qu’un gradué d’Oxford ou de Philadelphie, une humble fille peut non seulement mieux élever, mais mieux instruire. Voilà pourquoi l’on préfère à ceux qui offrent une science plus étendue ceux qui la font mieux pénétrer ; à ceux qui prêtent leur temps ceux qui se donnent eux-mêmes. Voilà pourquoi lorsque les schismatiques et les musulmans sentent l’insuffisance de leur enseignement national, ils sont attirés vers l’enseignement catholique. Il reçoit dans les écoles primaires la plus grande partie des enfans qui, pauvres et intelligens, cherchent à s’assurer, par une éducation européenne, un avenir. Il reçoit dans ses collèges presque tous les enfans de condition moyenne ou élevée que les familles indigènes veulent préparer à une existence digne de leur rang.

Si grande soit la valeur de l’élite attirée par cet enseignement, il n’est mis à profit que par une faible minorité des populations orientales. L’intelligence est une aristocratie encore inaccessible