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races autochtones ne gagnent pas de force et que l’Islam perde la sienne, voilà l’espoir à long-terme de la patience autrichienne. Si les races autochtones, fortes de leur entente, se partageaient tout à coup le domaine sur lequel elle avait pris hypothèque, c’en était fait. Leur laisser leurs conquêtes, c’était perdre sa destinée, les seules terres sur lesquelles luise encore pour elle le soleil levant d’une espérance. Disputer aux vainqueurs leur bien, c’était affronter elle-même une guerre, et où plusieurs de ses peuples seraient de vœux avec les Slaves combattus par elle. Ses intérêts exigeaient qu’entre les peuples des Balkans ne se formât point d’entente ; que la victoire certaine de la Turquie sur la Grèce isolée coupât court aux ambitions de toutes les races chrétiennes et laissât vacante pour l’Autriche la place de futurs agrandissemens ; que la finance et le commerce autrichiens, déjà forts à Sofia comme à Belgrade, continuassent leur lente infiltration, grâce à la paix. Mais comment imposer la paix à ces peuples que l’instinct de conservation portait à la guerre ? Il fallait un veto de l’Europe. L’Autriche parlait au nom de la triple alliance : restaient la Russie, la France et l’Angleterre. La France était résolue à suivre son alliée ; l’Angleterre, si elle demeurait seule, devenait impuissante ; tout dépendait donc de la Russie.

La Russie, depuis son échec en Bulgarie, semblait désenchantée de protéger personne, et se désintéressait des affaires balkaniques. C’était, parmi tant d’avantages, son infériorité en face de l’Autriche, qu’elle eût le choix entre les grands intérêts et ne fût pas contrainte de s’obstiner où elle trouvait des obstacles. Elle avait porté son activité vers l’Extrême-Orient, et le sud de l’Europe est une petite province à qui domine l’Asie. L’entrée en campagne de ses cliens slaves ne lui apportait que des embarras sans avantages. S’ils combattaient seuls, vainqueurs, ils seraient émancipés d’elle par leur succès ; vaincus, ils ne lui pardonneraient pas son abandon. Si elle était entraînée à les défendre contre l’intervention d’une grande puissance, elle souscrirait ainsi à leur agrandissement qui rendrait plus difficile l’exercice de son hégémonie. Enfin, cette guerre, outre qu’elle ne lui donnerait rien dans les Balkans, risquait de compromettre, si elle devenait générale, les travaux d’approche de la Russie autour de la Chine. Sans doute le maintien du statu quo, dans les États balkaniques était tout en faveur de l’Autriche et précipitait l’invasion allemande vers Salonique et Constantinople. Mais qu’importerait cette vaine avance le