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la réalité est toujours plus complexe que notre puissance de conception. »


IV

Les idées de M. Bernstein ont rencontré parmi les démocrates socialistes une vive opposition. Ils lui reprochent de regarder le mouvement socialiste du continent à travers les lunettes anglaises ; c’est le point de vue des Trades Unions qu’il expose. Il ramène le socialisme à l’alliance avec le libéralisme bourgeois, alliance à laquelle Marx avait eu le mérite de l’arracher. Il arrive, avec des réticences, aux thèses de l’économie politique officielle.

M. Kautsky, le théologien marxiste par excellence, le principal auteur du programme d’Erfurt, a engagé avec M. Bernstein une longue polémique. Bernstein, dit-il, veut séparer deux choses inséparables : l’activité réformiste et la propagande révolutionnaire. Le parti poursuit des réformes, afin de fortifier la classe ouvrière, de la préparer à une révolution inévitable. Nous ne sommes pas des blanquistes, ajoute M. Kautsky, nous ne complotons pas des coups de main : nous devons plutôt nous attendre à un coup d’État. Qu’on le veuille ou non, on marche à la catastrophe annoncée par Karl Marx. Il faut donc, dès à présent, y préparer les esprits.

Des femmes, Mme Zetkin, Mme Rosa Luxembourg, qui défendait au Congrès de Stuttgart les héros de la Commune contre M. de Vollmar, se sont particulièrement acharnées contre M. Bernstein, qui a osé profaner l’idéal révolutionnaire. Mme Zetkin demande que le parti rejette de son sein les Bernstein, les Vollmar qui cherchent à introduire en contrebande le possibilisme dans la démocratie socialiste. Mieux vaut une rupture avec ces hommes de compromis, d’abandon des principes. Un critique italien, M. Arturo Labriola, remarque à ce propos que « placer le socialisme sur le terre à terre de la société actuelle, c’est le priver du nimbe d’illusion et de mystère qui fait son extraordinaire force passionnelle, et lui donne l’impulsion et l’ardeur d’une foi religieuse ».

Qu’est-ce à dire, sinon qu’il y a deux socialismes, l’un à l’usage des foules, l’autre qui ne s’adresse qu’aux esprits cultivés ? M. Bernstein soulève une question de probité scientifique. Une erreur, dit-il, n’est pas digne d’être maintenue uniquement parce