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orages politiques qui menacent la France, l’Autriche, l’Italie, l’Espagne, l’ordonnance des langues en Bohême, la guerre d’Amérique, l’affaire Dreyfus, etc., tout cela n’a rien de commun avec la lutte de classes. L’erreur de Marx et d’Engels, c’est d’ignorer ou de méconnaître la complexité de la société moderne, c’est de jeter un grand voile sur la vraie force du capitalisme ; de considérer la bourgeoisie comme à la veille de s’abîmer dans une catastrophe inévitable.

M. Bernstein et M. de Vollmar vont plus loin : une catastrophe, même si elle était possible, ne serait pas souhaitable. Nous nous plaçons au point de vue socialiste. Si un bouleversement soudain, les désordres d’une guerre malheureuse, une grève générale, un courant du suffrage universel appelaient le prolétariat à exercer, du jour au lendemain, « une dictature de classe », il ne serait capable de gouverner ni au point de vue politique, ni au point de vue économique.

La thèse que Marx semble avoir empruntée au blanquisme, la foi en la puissance créatrice de la force révolutionnaire politique, de l’expropriation violente, — M. Bernstein la juge aussi fausse que dangereuse. M. Guesde exposait cette thèse à la Chambre, le 15 juin 1896, lorsqu’il s’écriait « que si les électeurs amenaient une majorité collectiviste à la Chambre, le parti ouvrier serait prêt en quarante-huit heures, et saurait intéresser à sa conservation les masses profondes du pays. » C’est la superstition de la Terreur de 1793, la foi dans l’efficacité des gouvernemens révolutionnaires, susceptibles de transformer, par un coup de baguette, l’état social, de nous faire passer, en un saut brusque, d’une société capitaliste dans une société socialiste, dont on néglige de nous indiquer l’organisation future.

L’histoire réfute cette utopie. L’échec de la Révolution de 1848 et de la Commune démontrent l’impuissance du prolétariat à diriger l’État d’une façon terroriste. M. de Vollmar est allé jusqu’à dire que les ouvriers parisiens auraient mieux servi leur cause si, durant ces jours néfastes, ils avaient pu dormir d’un sommeil de plomb. Comme en 1793, en 1848, en 1871, ce seraient « les amis du peuple, » la petite bourgeoisie qui, en cas de révolution, arriveraient au gouvernail. Mais ils n’ont ni les mêmes habitudes, ni les mêmes intérêts, ni les mêmes visées que les travailleurs manuels, et rien n’est aussi instructif que de voir ce que devinrent par la suite les jacobins, les babouvistes, les vieux républicains de