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ils doivent vendre pour pouvoir vivre leur force de travail aux détenteurs du capital.

Le travail crée la valeur. Or ces masses ouvrières auxquelles est due la richesse nationale ne peuvent elles-mêmes prospérer, car l’ouvrier ne reçoit pas, dans son salaire, toute la valeur que représente le travail exécuté mais seulement une partie, déterminée par le prix des subsistances nécessaires à son entretien. L’entrepreneur, par exemple, lui paie huit heures de travail, quand il le fait travailler dix, onze, douze heures. C’est l’ancienne corvée alourdie et déguisée, d’où l’analogie du salariat et du servage.

Cet excédent de valeur, engendré par le travail de l’ouvrier, cette plus-value, ce profit, résultat du surtravail, du travail non payé, le capital se l’attribue ; il en consacre une partie à la vie luxueuse ; mais la plus grande partie se capitalise et rend possible et nécessaire l’extension toujours plus large de la production. Formé à l’origine par la spoliation des paysans et l’exploitation des colonies, le capital est aujourd’hui « le vampire qui suce le sang des ouvriers. »

Avide, insatiable, il tend sans cesse à accroître sa productivité, à augmenter sa plus-value. Pour cela il a recours à deux moyens : allonger la journée de l’ouvrier, et faire usage de machines perfectionnées. La division du travail, le grand atelier, permettent d’employer des femmes et des enfans, réduisent le nombre des ouvriers occupés, forment une armée disponible de réserve industrielle soumise à toutes les exigences capitalistes. La concurrence des salaires les abaisse et les maintient au plus bas niveau possible.

Plus grande est la richesse sociale, le capital en fonction, plus grand le nombre des sans-travail et des pauvres. Plus la fortune s’accumule à un pôle, plus la pauvreté devient grande à l’autre pôle. Le progrès du capital a pour conséquence l’accroissement de la misère.

Cette paupérisation s’étend aux classes moyennes, par suite des phénomènes connexes de l’accumulation des capitaux et de la concentration des industries. La production se centralise dans un nombre toujours plus restreint d’entreprises géantes. Incapables de lutter contre cette concurrence, les petits industriels, les petits patrons tombent à leur tour dans le prolétariat. Quand cette évolution aura atteint son dernier période, la petite et moyenne bourgeoisie auront disparu.