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le gouvernement n’avait pas compté que la manifestation anarchiste amènerait une contre-manifestation nationaliste et antisémite, et s’il n’a pas voulu laisser pendant quelque temps les deux adversaires aux prises. Le bruit avait couru que les anarchistes de la place de la République se transporteraient rue de Chabrol, et, dans ce cas, peut-être auraient-ils rencontré sur leur route les amis de M. Guérin. Mais un pareil calcul aurait été trop machiavélique, et le gouvernement n’aurait pas pu le faire sans manquer au premier de ses devoirs, qui est d’empêcher les citoyens d’en venir aux mains. Quoi qu’il en soit, les anarchistes ont été laissés à eux-mêmes, et leurs adversaires nationalistes n’ont pas fait mine d’intervenir pour modifier, eu y prenant part, le sens de leur manifestation. Si ceux-ci étaient descendus à leur tour dans la rue, et s’ils s’étaient opposés aux bandes qui s’en étaient emparées les premières, on ne sait pas ce qui serait arrivé. Le désordre aurait été vraisemblablement beaucoup plus grand, et les partis auraient pu en rejeter longtemps la responsabilité l’un sur l’autre. On aurait finalement été embarrassé de savoir à qui elle appartenait de préférence. Mais les anarchistes sont restés seuls. Nul n’a cherché à leur faire concurrence. Tout le mal accompli a été leur œuvre, et il n’en est que plus intéressant de constater quelle en a été la signification.

Elle a été avant tout antireligieuse. M. Sébastien Faure avait donné formellement à ses acolytes le mot d’ordre : A bas la calotte ! et nous nous excusons auprès de nos lecteurs de reproduire cette expression d’un vocabulaire qui n’est pas le leur ; elle montre du moins que les instigateurs et les organisateurs de la journée savaient parfaitement bien ce qu’ils voulaient. Ils ont été servis à souhait. Tous les faits graves qui se sont produits le 20 août ont eu un caractère antireligieux nettement déterminé. Nous ne referons pas un récit qu’on a déjà lu dans tous les journaux. Il suffit de dire que les vitres d’une maison de charité ont été brisées uniquement parce qu’elle était tenue par des religieuses, et qu’au surplus elle portait à l’extérieur une image de la Vierge. Il n’en a pas fallu davantage pour que les manifestans s’armassent de pierres, et les lançassent contre les fenêtres de l’établissement. On imagine la terreur, on entend les cris d’infortunés malades et de pauvres vieillards qui ont cru leur dernier jour venu ! Cet acte de sauvagerie n’a pas été le seul à signaler : on sait ce qui s’est passé à l’église Saint-Joseph. Une bande s’y est portée et n’a pas tardé à l’envahir. Le sac de l’église a aussitôt commencé ; on a cassé, brisé tout ce qui tombait sous la main, et on s’est contenté de le déformer et de