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un peu tard son possible pour en arrêter les manifestations, aurait encore mieux fait de les prévenir. Quand il a vu le caractère alarmant que prenait l’émeute, il a mis sa police sur un pied d’alerte, et grâce au courage, au dévouement, à la discipline de nos agens, il a réussi à circonscrire et bientôt à étouffer le foyer de l’insurrection ; pourquoi l’a-t-il laissée naître, et ne l’a-t-il pas empêchée d’éclater ?

La journée a appartenu exclusivement aux anarchistes : ils l’ont préparée ; ils en ont donné le signal ; ils y ont tout fait. Ce genre de manifestation ne se prépare pas sans complot, et un gouvernement dont toute l’attention n’aurait pas été absorbée ailleurs, n’aurait pas manqué de le découvrir tout comme un autre. Qu’aurait-il dû faire alors ? Ce n’est pas à nous à le dire ; mais, à voir la manière dont il a opéré à l’égard de M. Déroulède et des conspirateurs monarchistes, on peut croire que, si le gouvernement l’avait voulu, l’action gouvernementale n’aurait pas été désarmée contre les anarchistes. Au surplus, la veille et l’avant-veille du 20 août, ceux-ci avaient cru inutile de dissimuler plus longtemps leurs projets ; ils avaient mis, au contraire, la plus grande publicité possible à donner rendez-vous à leurs troupes, à heure précise, sur la place de la République, Il y avait eu d’abord une réunion préparatoire, que la police avait surveillée bénignement pour éviter qu’on ne s’y battit, mais où elle n’avait paru ni écouter, ni entendre ce qui s’était dit. Peu importe, au surplus, car les journaux le reproduisaient le lendemain, et il suffisait de les lire pour être fixé. Enfin, le principal organe de l’anarchisme, le Journal du peuple, qui a pour inspirateur M. Sébastien Faure, résonnait comme un tocsin de révolution et indiquait à ses lecteurs le point d’où l’émeute devait partir. Le gouvernement a pris des précautions sans doute ; mais en attendant il a laissé faire, comme s’il avait l’espérance un peu naïve qu’une manifestation organisée officiellement par le parti anarchiste ne dépasserait pas des bornes toutes pacifiques, ou du moins qu’un gouvernement comme lui n’aurait pas de peine à l’y ramener et à l’y maintenir. Les amis de nos amis ne sont-ils pas, comme on dit, nos amis ?

Pourquoi tant de sévérité d’une part et tant de longanimité de l’autre ? Les anarchistes sont-ils donc moins redoutables que les monarchistes ? Ceux-ci ont été arrêtés sans attendre que leur complot se fût converti en attentat par un commencement d’exécution. Ceux-là ont pu descendre sur la voie publique, et la police n’a mis la main sur eux que lorsque leurs exercices y avaient déjà multiplié les désordres matériels. Il y a là quelque chose de singulier. On s’est demandé si