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ces contrats dont l’application léonine les condamnait à la faillite : de nombreux procès s’engagèrent ; on vit en Pouille, en 1893, 159 procès pour chaque millier d’habitans, alors que le nombre des Piémontais et des Lombards qui, la même année, mettaient la basoche en mouvement, était de 50 sur 1 000 et de 23 sur 1 000. Il en fut aussi qui se révoltèrent : des soulèvemens agraires eurent lieu ; et l’ »ordre public, » façade immobile et menteuse, commença de chanceler, comme il advient en général lorsque le désordre et l’iniquité, qu’abrite souvent cette façade, exercent une trop impérieuse poussée. Amour du sol, esprit de famille, harmonie civique, tout périclitait dans cette tourmente ; et la charité, guérisseuse d’amertumes, ne pouvait prévaloir contre l’immensité du mal. La Pouille était, en effet, une des provinces du royaume où les dépenses de bienfaisance étaient le plus réduites : pour chaque centaine d’habitans, elles sont en Piémont de 432 francs, en Toscane de 353, en Campanie de 244, et dans la Pouille, au contraire, elles ne dépassent pas 118 francs. Mais ce fut l’honneur de cette région, que les statistiques de la criminalité, au cours de ces terribles années, ne subirent point d’augmentation : l’être humain, victime de l’injustice brutale des circonstances, n’y puisa point pour lui-même des leçons d’injustice.

Un homme s’était trouvé, qui, par la seule force de son exemple et le seul prestige de son crédit, avait initié les paysans des Pouilles à comprendre la nouveauté et à accepter le progrès. Au prix de gros sacrifices, M. Pavoncelli, lui, pouvait maintenir sa maison ; il chercha des débouchés sur la carte du monde, il se mit à étudier l’opportunité de la culture du mûrier, il était d’ailleurs assez riche pour s’appauvrir impunément. Mais quant à la masse des paysans, ses voisins et ses élèves, la nouveauté les décevait, le progrès les bernait ; leur esprit d’épargne était châtié par les catastrophes financières, et rien n’est plus périlleux pour l’état moral d’un peuple que de pâtir de ses vertus. Ils perdirent, dans cette catastrophe, quelque chose de plus que le bien-être ; ils perdirent le courage. La négligence causerait-elle de plus graves dommages que n’en avait causé le travail ? Voilà la question qu’ils se posaient ; et la soulever, c’est déjà s’abandonner. De la Capitanate, le désarroi gagna les régions plus méridionales. La Chambre de commerce de Bari, assez légitimement découragée, passa plusieurs années sans publier aucun rapport ; et c’est une activité exotique, l’activité d’un homme du nord, M. Luigi Gambarini,