Page:Revue des Deux Mondes - 1899 - tome 155.djvu/211

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

avait décidé beaucoup de petits marchands à se faire viticulteurs, beaucoup de petits paysans à affermer des terres avec la promesse de les transformer en vignes dans un proche délai et l’espérance de les exploiter ensuite, moyennant une redevance, durant une période de trente ans. Ils s’engageaient à faire tous les frais du travail, à payer la redevance dès la dixième année qui suivrait la signature de ce « contrat d’amélioration, » à abandonner la terre et à perdre, sans nulle indemnité, tout le fruit des améliorations apportées, s’ils se trouvaient, ne fût-ce qu’une fois, hors d’état d’acquitter cette redevance, enfin, au bout de trente ans, à restituer au propriétaire, sans aucune compensation, la terre transformée par leurs soins. On calculait, pourtant, que ces dépenses viticoles, qui grèveraient le paysan, seraient de 2 000 à 4 000 francs par hectare ; mais la force lui manquait pour résister au contrat usuraire qu’on lui présentait, même pour le discuter ; il signait, grisé d’avance, si l’on ose ainsi dire, par les fumées du vin désiré. « Ce n’est pas la Palestine qui est ma terre promise, ce sont les Pouilles, » disait autrefois l’empereur Frédéric II de Hohenstaufen. Six siècles plus tard, dans l’exode des Pouilles vers le bien-être, les raisins de M. Pavoncelli exerçaient la même séduction que ceux de l’antique terre promise. On se ruait vers la culture de la vigne avec un enthousiasme servile, presque passif, qui paraissait d’autant mieux justifié que les années 1886 à 1888, années de sécheresse, compromirent singulièrement les exploitations de céréales.


V

C’est sur ces entrefaites que l’État unitaire, après avoir permis à la Capitanate de développer son agriculture, lui enleva, tout d’un coup, le fruit de ce splendide labeur : la rupture des relations commerciales entre l’Italie et la France, survenue en 1888, précipita cette province en d’inextricables difficultés. La France importait de Pouille, en 1887, 2 787 000 hectolitres de vin ; en 1889, elle n’en achetait plus que 174 000 ; en 1890, le chiffre déchut à 23 000. De ses vins, la Pouille ne savait que faire ; le prix en baissait à vue d’œil ; l’hectolitre, qui valait 40 francs à Barletta en 1885, tomba à 27 francs, puis à 17, puis à 15, à la fin de 1891 : on donnait le vin, i quasiment ; et l’on ne trouvait personne pour l’accepter.