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dans l’Italie méridionale, il y a un siècle et demi, par le cardinal Orsini, pape sous le nom de Benoît XIII, sont tombés en une incorrigible désuétude, victimes de la déloyauté, de l’incurie et de l’oubli. C’est que les campagnards des Pouilles s’attardent volontiers dans une sorte de torpeur individualiste, où périclitent d’ailleurs, sans sauvegarde ni garantie, les droits de l’individu ; l’isolement résigné, qui les désarme, semble avoir pour eux plus d’attraits qu’une action commune ; et leur défiance contre les organisations de crédit, défiance qui peut aujourd’hui, à la suite de certaines banqueroutes, leur paraître justifiée, n’était rien de plus, à l’origine, qu’une conséquence naturelle de leurs habitudes de laisser faire et de laisser aller. De père en fils, l’indigène du sud-est laisse faire à Dieu... et il laisse faire à d’autres.

Ces autres sont les Italiens des provinces septentrionales, ou bien parfois des Allemands et des Français. Ils sont très bien reçus en Pouille lorsqu’ils y viennent comme producteurs ou comme gérans d’entreprises, car ils y sont attendus, les énergies autochtones ayant besoin d’eux pour manœuvrer. Ils sont plus fraîchement accueillis lorsqu’ils se présentent comme marchands et comme fournisseurs, car l’article nouveau, là-bas, est d’ordinaire frappé d’interdit. L’acheteur, dans les Pouilles, goûte l’article suranné qui a fait ses preuves d’usage et de vieillesse ; il retarde volontairement, se montre, par système, rétif aux innovations, et confère, sur son terroir, une investiture posthume de la mode à ce qui partout ailleurs est démodé ; la Pouille, prudente, aime mieux rester à la remorque que de passer à l’avant-garde. Mais lorsqu’il s’agit de prendre une part docile, même très fatigante, à quelque besogne industrielle inédite, les concours laborieux sont tout de suite dispos ; et ces tempéramens timides, qui semblent, à part eux, considérer la vie comme une halte plutôt que comme une marche, deviennent, pour le développement industriel, les meilleurs des serfs. Ils laissent tout faire, même le progrès ; et, comme agens du progrès, ils se prêtent à l’embrigadement, voire même à l’exploitation.


II

Si l’on veut les retrouver tels qu’ils aiment à être, dévots de la tradition et dévots de leur autonomie, discrètement soupçonneux à l’égard des nouveautés sans y être systématiquement hostiles,