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pierrailles des murs, il reconnaissait des fragmens de statues romaines utilisées comme bouche-trous ; il s’attardait devant les niches vides où jadis s’étaient dressées des figures de la Vierge, brisées pendant le sac de Vienne par le baron des Adrets. Et un soir, comme les feux du soleil couchant rougissaient l’horizon, le spectacle de l’antique cathédrale, dont les clochetons noirs se découpaient sur le fond métallique du ciel, lui inspira l’idée d’un récit viennois, dans le genre de Notre-Dame de Paris. Le lendemain, de bonne heure, il était à la bibliothèque, compulsant les archives, recueillant des matériaux. Au diable la procédure ! Dès la nuit suivante, il se mettait à l’œuvre, écrivait une longue nouvelle dont l’action avait lieu à Vienne, au temps du trop fameux baron des Adrets. Puis, naturellement, d’autres nouvelles suivirent, ensuite des contes, mais surtout des vers. Le jeune avocat était devenu poète.

Mais que faire de ces compositions à la manière de la nouvelle école ? Aller à Paris chercher un éditeur ? Il n’y fallait pas songer. Le papier noirci restait donc soigneusement enfermé dans un tiroir. Et la pire souffrance du jeune homme lui venait de l’impossibilité de confier à quelque ami le secret de ses travaux et de ses projets. Il ne connaissait personne à Vienne qui pût ou voulût s’y intéresser.

Tout arrive, pourtant ; même les événemens les plus improbables. Dans l’hiver de 1837, MM. Timon frères, imprimeurs, eurent l’idée de fonder à Vienne une revue littéraire et archéologique. Ces messieurs étaient propriétaires du Journal de Vienne, qui publiait, à ce moment, les annonces légales. Ce fut dans ce temple de la loi que mon père eut la joie de leur être présenté, quelque temps avant l’apparition du premier numéro de la Revue projetée. L’aîné des Timon interrogea François Ponsard sur ses occupations, sur ses goûts, puis, de son ton le plus bienveillant : « Eh bien, mon jeune ami, venez nous voir demain : j’aurai justement quelques-uns de ces messieurs les rédacteurs de la Revue, vos futurs collaborateurs, je l’espère ! » Ponsard n’eut garde de manquer à l’invitation. Le lendemain, il s’arrête devant une vieille demeure d’allure familiale. Il sonne ; le père Timon lui-même vient lui ouvrir ; et, après l’avoir guidé à travers un labyrinthe de couloirs, l’amène dans une sorte de jardin de curé où les salades fraternisent avec les giroflées. Sous la tonnelle, quatre personnes discutent : Chorier ne se serait-il pas trompé en prétendant