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tout temps, lui avaient déplu. Ainsi s’explique l’extrême rareté des renseignemens biographiques qu’on possède sur lui. Son éloge, prononcé à l’Académie par son successeur Autran, le 8 avril 1869, est à peu près l’unique document un peu sérieux que nous puissions citer : encore n’est-il pas lui-même à l’abri de toute critique. Et quand les journalistes, quand les collaborateurs de dictionnaires ou d’encyclopédies ont à parler de Ponsard, force leur est, faute de mieux, de s’adresser à l’extravagant et fâcheux Jacquot, dit Eugène de Mirecourt, qui a consacré à la biographie de Ponsard une brochure d’une quarantaine de pages où il n’y a pas une ligne qui ne soit une erreur.

Aussi me permettra-t-on de tenter, à l’aide surtout des papiers que m’a laissés mon père, un récit plus fidèle et plus détaillé de cette représentation de Lucrèce. Mais avant d’en commencer le récit, avant d’essayer de faire comprendre la portée de cet événement littéraire et d’en reconstituer la physionomie, je voudrais expliquer en quelques mots comment Lucrèce a été conçue, comment Ponsard s’est pour ainsi dire trouvé nécessairement amené à la concevoir, et à lui donner la forme spéciale qu’il lui a donnée.


I

François Ponsard était né le 9 juin 1814, à Vienne en Dauphiné. Son père. Hercule Ponsard, était président de la chambre des avoués de la ville : il cessa de l’être peu de temps après la naissance de son fils, ayant encouru la colère du président du tribunal pour avoir obéi à ce qu’il considérait comme son devoir. Le petit François fut élevé par lui dans les principes d’une morale austère et inflexible dont il devait garder toute sa vie l’empreinte profonde. C’est à son éducation qu’il attribuait lui-même ces scrupules de probité littéraire qui non seulement l’ont toujours empêché de faire aucune concession à son désir de célébrité, mais qui l’ont tenu presque à l’écart de la vie des hommes de lettres, dans un laborieux et discret isolement.

Il commença ses études au collège de sa ville natale, puis suivit les cours de rhétorique et de philosophie au collège de Lyon. Dans cette humide caserne, le jeune homme se serait cruellement ennuyé si, par bonheur, il n’avait rencontré parmi ses professeurs un certain abbé Noirot, bien connu depuis comme philosophe, mais en outre archéologue érudit et excellent latiniste,