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— jusqu’à une date récente, — avaient fait place aux petits incidens passagers. Il faudrait démêler ces intrigues de couloirs, ces cabales de cour, toutes ces choses d’Espagne, si vite oubliées et qui méritaient de l’être ! Il faudrait chercher les raisons plus ou moins secrètes, souvent misérables et toujours fugitives, qui font là-bas tomber les ministères, puisqu’il est entendu qu’ils ne sauraient être mis en échec, dans les Cortès, par leurs majorités, qu’ils ont eux-mêmes élues ! Pourquoi le maréchal Martinez Campos succédait-il à Canovas del Castillo, l’homme nécessaire des commencemens de la Restauration ? Et pourquoi Canovas succédait-il si tôt au maréchal ? Comment, dans la suite, voyait-on, par une sorte de chassé-croisé périodique, M. Sagasta tout à coup prendre la place de Canovas, et Canovas remplacer à son tour non moins inopinément M. Sagasta ? Il faudrait même plaindre don Emilio d’avoir ainsi vécu dans l’agitation vaine des partis politiques, si l’on ne songeait que, par un des contrastes qui éclataient en lui, ce haut esprit, si prompt à s’enlever d’un coup d’aile, savait redescendre non moins rapidement au ras du sol et se mêler au jeu parlementaire pour avancer le triomphe, la réalisation de son idéal.

Enfin, si je devais retracer l’histoire de son rôle sous la monarchie, il me faudrait passer en revue l’ample série des discours qu’il a prononcés sous la Restauration et qui, pour la plupart, sont infiniment longs ; lui-même les qualifiait « ces monologues démesurés qui s’appellent discours[1]... » Cette revue d’ailleurs n’irait pas sans monotonie, car il s’est beaucoup répété, condition nécessaire à qui veut convertir. Les idées, les réformes, qui constituent sa doctrine, son programme, il les prêche, les commente sans se lasser ; on les retrouve toujours identiques, à quelques variantes près ; à cet égard, on pourrait presque dire qu’il a refait le même discours quinze années durant. Mais, si nous ne pouvons suivre Castelar d’étape en étape, je voudrais du moins marquer par quelques traits les courbes, les tournans, les orientations successives de la route qu’il a parcourue ; je voudrais rappeler comment, fort éloigné d’abord de la monarchie d’Alphonse XII, il s’est trouvé plus tard et peu à peu rapproché de la Régence à ce point que l’adversaire d’autrefois devint et resta

  1. Dans la préface de la collection des discours prononcés sous la Restauration, jusqu’en 1884, Discursos parlamentarios y politicos de Emilio Castelar en la Restauracion, 4 vol., Madrid.