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qui se montraient, dans le même temps, si modérés ou si avisés ! Durant la crise du Seize mai, Don Emilio, de séjour à Paris, ne se lassait point d’admirer leur union, leur discipline, leur attention à ne sortir jamais des voies légales. Il y trouvait des raisons nouvelles de persévérer dans sa propre conduite. La parole fameuse du président Grévy, disant à Gambetta, le jour que la Chambre fut prorogée : Restez dans la légalité ! Restez-y avec sagesse, avec fermeté et avec confiance ! qu’était-elle donc, cette parole, qui était le programme d’un parti déjà sûr de son triomphe, qu’était-elle sinon la devise qu’il avait adoptée, sinon le mot d’ordre qu’il n’a cessé de donner jusqu’à la fin ? A la vérité, ce mot d’ordre n’était reçu que par un groupe infiniment restreint, et le fait est que, ni alors ni, je le crois, depuis, Castelar ne s’est vu, soit dans les Cortès, soit dans le pays même, à la tête d’un parti compact. Abandonné, renié, depuis 1873, par le plus grand nombre des républicains, il a été presque toujours dans la situation d’un général sans soldats. Et, pour commencer, il fut seul, tout seul, dans une Chambre de monarchistes, lesquels d’abord firent mine de le confondre avec ses anciens partisans, devenus ses adversaires, et de traiter cet apôtre de la légalité et de l’ordre en factieux. Plus tard, ses fidèles, ses lieutenans, réussirent à entrer au Congrès, à la suite de leur chef. Mais ce n’était qu’un groupe infime par le nombre, composé d’hommes dont plusieurs sans doute étaient distingués, mais dont aucun n’était illustre ; c’est pourquoi l’on peut dire, en somme, que Don Emilio était seul en face de la monarchie. Et néanmoins ce solitaire obtenait, de législature en législature, plus d’autorité, plus de crédit ; et un jour vint où il apparut décidément comme une puissance avec laquelle les ministres de la royauté devaient compter, et cela par le seul ascendant que lui donnaient son éloquence, son patriotisme, son caractère si droit et si loyal, sa raison si fine et si clairvoyante ! Je ne sais si je m’exagère cette situation, mais il me semble qu’on en pourrait trouver malaisément une autre à lui comparer, je ne dis pas dans l’histoire parlementaire de l’Espagne, mais dans celle des autres pays, et qu’en tout cas ce rôle si personnel fut un grand rôle, et qu’il le paraîtra plus encore lorsque, dans l’avenir, on le verra de plus loin.

Je n’entreprendrai pas de suivre Castelar à travers cette longue période. Il faudrait pénétrer dans le détail des circonstances qui composent la vie journalière d’un État où les grands événemens,