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sentimens, Castelar avait banni de son credo les utopies néfastes : l’idée fédéraliste, la suppression des armées permanentes, l’abstention électorale (el retraimiento, ce détestable prélude de l’émeute), — enfin toute intransigeance, tout esprit d’exclusion sectaire. Evolution ou révolution, ce radical changement s’était manifesté, en 1873, dans les semaines qui avaient précédé l’avènement à la présidence. On l’avait vu paraître dans le discours des 8 et 10 juillet, où perçait le nouveau programme du futur chef d’Etat ; et ce programme, le message du 8 septembre l’avait affirmé ; le discours de la chute, du 2 janvier 1874, l’avait encore précisé, lancé comme un défi à la face des énergumènes ; et, après le 2 janvier, sous le régime sans couleur et sans nom qui servit d’intermède en attendant le retour du roi Alphonse XII, le discours de Grenade l’avait fait revivre ce programme de salut et d’avenir, comme si Castelar eût voulu montrer aux yeux de tous que, dans l’opposition comme au pouvoir, il saurait y rester fidèle[1]. En sorte que la très haute doctrine politique, qui allait être désormais et jusqu’au dernier jour de sa vie la règle invariable de sa conduite, était fixée et, on peut le dire, définitive, au moins dans ses lignes maîtresses, lorsque vint la Restauration. Il n’eut qu’à l’adapter au nouveau régime.

Il le fit aussitôt qu’il lui fut permis de rompre le silence. Environ trois semaines avant les élections qui devaient lui rouvrir les portes des Cortès, Castelar avait adressé sa profession de foi aux électeurs de Barcelone et de Valence. Dans ce document, on retrouve, exposé par avance, le programme qu’il mettra en œuvre pendant vingt-quatre ans. Les voilà, les principes directeurs qu’il ira publiant et prêchant sans relâche, les voilà, les grandes réformes capitales, les cinq ou six libertés nécessaires qu’il revendiquera, qu’il mettra la monarchie en demeure de lui donner, et qu’elle lui donnera ! « Je réclame, disait-il, les droits fondamentaux inscrits au titre premier de notre Constitution (la Constitution de 1869, et il voulait parler de la liberté de la presse, des droits de réunion et d’association) ; le suffrage universel, base de tout gouvernement ; la liberté religieuse entière, avec ses conséquences immédiates ; l’enseignement national et l’État indépendant de toute Eglise, le rétablissement du jury. » Il ajoutait : « Quant à ma

  1. Discours prononcé à Grenade, le 26 mai 1874, dans une réunion républicaine. Il a été reproduit en tête de la collection des discours de Castelar sous la Restauration.