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chef du pouvoir exécutif fit lui-même d’un message où il rendait compte de ses quatre mois de présidence. Et, aussitôt après, le débat s’engagea, un de ces solennels débats parlementaires, si inutiles et si vains ! La discussion traîna, durant plusieurs heures. Ce ne fut que tard dans la soirée, un peu avant minuit, que les deux présidens se jetèrent dans la mêlée ; M. Salmeron d’abord, qui par la froidement, avec obscurité, présentant mal une mauvaise cause. Castelar répliqua, blessé au cœur, exaspéré, impatient d’en finir, et prenant la parole moins pour se défendre que pour confondre ses adversaires. Il faudrait citer en entier cette harangue, qui a jailli, tout improvisée, admirable mélange de passion et de raison ; tableau saisissant où il opposait l’une à l’autre deux politiques, la sienne, et celle des autres républicains, qui allait tout ruiner. Il leur criait, avec une éloquence désespérée : « Ne voyez-vous donc pas que nous roulons au fond de l’abîme ? »


Hélas ! leur disait-il, si la République de mes rêves était réalisable, il n’y en aurait jamais eu de si belle ! Je l’ornerais de toutes les perfections que l’art et la vertu peuvent offrir aux hommes ; mais il s’agit de la réalité. Résignez-vous donc à voir votre République bien imparfaite encore : c’est une loi du monde physique que tous les êtres naissent imparfaits. Le chêne, qui plus tard défie les siècles et les tempêtes, n’est au début qu’un faible rameau qui ploie sous l’aile de l’insecte...

Après tout, nous avons la démocratie, la liberté, les droits individuels, la République ; que nous manque-t-il de ce que naguère nous réclamions ? (Rumeurs à gauche.) Ah ! je le sais bien, vous voudriez, vous autres, qu’on vous donnât le monde, pour le découper en cantons, et dans chaque canton mettre un Contreras, comme à Carthagène... Pour nous, il nous suffit, quant à présent, d’accomplir deux réformes : la séparation de l’Église et de l’État et l’abolition de l’esclavage. (Une voix : Et la Fédérale ? ) La Fédérale ? Vous voulez dire l’organisation municipale et provinciale ? Nous en parlerons plus tard ; aujourd’hui la chose n’en vaut pas la peine ! Le plus fédéraliste doit se résigner à voir son rêve ajourné de dix ans. (Une voix : Et le projet de loi ?) Le projet de loi ? On l’a brûlé à Carthagène ! (Lo quemaron en Cartagena.) Appelez-moi apostat et traître ; mais j’estime qu’il y a toute une série de réformes justes en principe, qui présentement sont irréalisables, et je ne veux pas perdre la République pour des utopies.


Dans le même discours, Castelar exprimait le vœu qu’il pût se former au sein de la République espagnole deux grands partis, l’un progressiste, l’autre conservateur, où’ les hommes de bon vouloir des régimes anciens pourraient trouver place. Mais en vérité c’était pour l’Espagne, c’était pour l’avenir qu’il parlait, non