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des télégraphes. Le 1er janvier, les mesures étaient prises, les préparatifs terminés. Les Cortès pouvaient se réunir ; elles n’échapperaient pas au réseau qui allait les enserrer.

Ici, une question se pose. Eh, quoi ! le chef du pouvoir exécutif n’a-t-il rien su, rien deviné ? Nulle information n’était donc venue à ses oreilles ? Nulle indiscrétion, nul indice n’avait éveillé son attention ? Comment ce secret a-t-il été gardé par tant des personnes, et si parfaitement, et dans un pays où les conspirations, pour l’ordinaire, sont le secret de tout le monde ? Doit-on supposer que Castelar fut si naïf ? ou qu’il eut vent de ce que le général tramait dans l’ombre, mais le laissa faire, connaissant la sympathie très réelle de Pavia à son égard et se disant : Tant que je serai là, il ne bougera pas ; si je n’y suis plus, les Cortès, après tout, auront ce qu’elles méritent ; sans doute ce sera une bien triste violation de la loi, mais à qui la faute ? Et le pays du moins sera sauvé ! — Castelar, au contraire, a toujours protesté qu’il n’en avait rien su. Il en a fait la déclaration solennelle deux années plus tard, devant les Cortès de la Restauration, dans une séance que n’oublieront jamais ceux qui y assistèrent. Des orateurs avaient laissé entendre que peut-être l’ancien Président de la République n’avait pas été si ignorant des desseins de Pavia… Castelar bondit sous l’injure ; d’une voix vibrante d’émotion, il raconta ses entrevues d’alors avec le capitaine-général, et comment celui-ci lui avait donné le change : « Pouvais-je douter, s’écriait-il un peu ingénument, pouvais-je douter de la parole d’un officier espagnol ? » Et, dans un mouvement d’indignation, il osa dire, à la face de Pavia qui siégeait à quelques pas de lui, impassible : « Si j’avais pu le soupçonner de trahison, je l’aurais empêché d’exécuter son plan, et, au besoin, l’aurais fait fusiller, car j’en avais le pouvoir…[1] » Il est certain que le général avait un prétexte commode, en sa qualité de gouverneur de Madrid, pour expliquer les mesures qu’il prenait à la veille du 2 janvier, étant censé les prendre à cette unique fin d’assurer le maintien de l’ordre et de prévenir un soulèvement de la milice fédérale, soulèvement que la population madrilène redoutait.

Enfin l’on arriva à la journée tragique. Cette séance des Cortès, qui devait être leur séance suprême, commença le 2 janvier 1874, vers trois heures de l’après-midi, par la lecture que le

  1. Séance du 17 mars 1876.