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faire, il lui déplaisait qu’un autre le fît à sa place. Tout, à ce malcontent, était sujet de querelle. Il fatiguait les gouvernans de ses récriminations ; il était le perpétuel censeur. La politique de Castelar, et singulièrement l’attribution des grands commandemens à des généraux réputés monarchistes, lui arrachaient des cris d’alarme ; on eût dit qu’il marchait de surprise en surprise ; et cependant cette politique, dont le grand orateur avait si loyalement tracé le programme, M. Salmeron y avait donné son adhésion. Il l’avait même inaugurée !

Le mois de novembre passa de la sorte. L’hostilité couvait. Castelar s’épuisait en efforts pour amadouer ce personnage malintentionné ; il prêchait un sourd ; il proposait la paix à qui voulait la guerre. Et déjà les observateurs avisés prononçaient qu’il était perdu ; ce n’était plus qu’affaire de semaines ; il serait renversé, le 2 janvier, par les Cortès. La « question des évêques » mit le feu aux poudres. Or, voici à quels termes cette question se réduisait. Un certain nombre de sièges épiscopaux étaient vacans, et le Pape se disposait à y pourvoir seul, motu proprio, en se passant de l’autorité civile. Défait, depuis l’abdication du roi Amédée, l’Eglise espagnole vivait séparée de l’Etat, qui avait cessé de servir aux titulaires ecclésiastiques les allocations que les lois fondamentales, non abrogées, leur garantissaient. Au Vatican, l’on raisonnait ainsi : Vous ne remplissez pas vos obligations ; soit ! nous rentrons alors dans la plénitude de notre droit. — Et le Pape, disait-on, instituerait des évêques carlistes. Le gouvernement de Castelar avait vu le danger, qui était des plus graves ; il négocia avec la Curie romaine, et heureusement rencontra des dispositions conciliantes. On s’entendit ; les nominations furent dûment concertées par les deux pouvoirs, et il se trouva, par surcroît, que les prélats choisis étaient excellens. Cette mesure, dans un pays catholique par essence, ne pouvait être que favorable à la République ; pour cette seule raison, tout républicain ayant le sens commun devait l’approuver. Mais, au point de vue de M. Salmeron, de plus en plus figé dans ses dogmes, c’était proprement une trahison : Castelar tournait au cléricalisme ! De nouveaux pourparlers eurent encore lieu : le président des Cortès posait des conditions inexécutables ! C’était bien la guerre ; c’était la crise ouverte ; cette date du 2 janvier devenait une échéance, entrevue avec joie par les hommes de désordre, avec épouvante par les gens sensés.