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On se divisa, dans le comité d’examen, dès la première séance, sur l’appréciation du projet russe. On vit aussitôt deux courans se dessiner : plusieurs États cherchaient à substituer des vœux aux résolutions, des recommandations aux injonctions, à remplacer les réponses précises qu’on sollicitait par des réponses vagues. D’autres États cherchaient au contraire, de la façon la plus sincère, le moyen d’assurer par des règles fixes la solution pacifique des conflits internationaux.

C’est ainsi que M. Asser proposa, le 29 mai, d’astreindre les parties intéressées à requérir la médiation d’une ou de plusieurs puissances amies. Le projet russe, on l’a vu, se bornait à dire : « en tant que les circonstances l’admettraient. » Le plénipotentiaire néerlandais fit justement observer que cette formule, empruntée au protocole n° 23 du Congrès de Paris (1856), avait été proscrite en 1885 par l’acte général de Berlin. Tel fut aussi l’avis du plénipotentiaire italien. M. Bourgeois, au contraire, exprima la crainte qu’un engagement pris dans ces conditions ne fût souvent éludé, par la force même des choses. C’est alors que l’Autriche-Hongrie, par l’organe de M. Lammasch, tenta de substituer à l’amendement radical cette formule conciliante : à moins que des circonstances exceptionnelles ne rendent ce moyen manifestement impossible, « afin d’indiquer que la médiation doit être la règle, et le recours aux armes, l’exception. » Mais ces deux amendemens se heurtèrent aussitôt à l’inflexible opposition du docteur Zorn : l’Allemagne entendait que chaque puissance conservât son entière liberté d’appréciation. Toutefois la suppression pure et simple de la réserve insérée dans l’article 2 du projet russe fut votée provisoirement par cinq voix contre quatre (la Grande-Bretagne, l’Italie, la Belgique, les Pays-Bas, la Suisse) et une abstention, celle de la Russie.

Au début de la séance suivante (31 mai), le docteur Zorn rouvrit le feu : il annonça son dessein de faire rétablir en séance plénière les mots supprimés sur la motion de M. Asser, Il se résignait toutefois, du moins jusqu’à nouvel ordre, à laisser passer, si cela pouvait être agréable, l’amendement de M. Lammasch. Au demeurant, que concédait-il ? Est-ce que n’importe quel État en litige ne restait pas toujours libre de soutenir qu’il se trouvait placé sous l’empire de circonstances exceptionnelles ? Il aurait fallu beaucoup de mauvaise volonté pour ne pas s’entendre, et cette inoffensive proposition fut votée sans opposition.