Page:Revue des Deux Mondes - 1899 - tome 155.djvu/147

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

les troupes de Martinez Campos, et les batteries du môle ripostèrent avec tant précision que les assaillans bientôt gagnèrent le large. L’événement fit quelque impression sur les chancelleries. Les affaires semblaient prendre une tournure nouvelle. Décidément il y avait à Madrid une autorité qui s’efforçait de ressaisir le pays, d’être, en un mot, un gouvernement. En même temps Castelar hâtait, par ses amis de Londres, — spécialement par John Bright qui venait d’entrer dans le cabinet Gladstone, — le succès des négociations. L’Angleterre se résigna à rendre les vaisseaux. Mais, en les restituant, elle s’attribuait un pourboire honnête, et faisait payer le plus cher possible aux Espagnols le service qu’elle était censée leur avoir rendu.

Du côté de la terre, les obstacles n’étaient pas moins grands. L’investissement de Carthagène, pour être complet, nécessitait un ample déploiement de troupes, et il fallait une artillerie puissante, afin de réduire les forts qui entouraient la ville. Aussi la marche des opérations fut-elle très lente. On dut recourir à un bombardement ; il ne commença guère que le 26 novembre, et la place tint encore un mois et demi ! Le 2 janvier, quand les Cortès se réunirent de nouveau, la résistance désespérée continuait ! C’étaient, chaque jour, des incidens de tranchée, fort semblables à ceux qui avaient marqué naguère le second siège de Paris. J’ai sous les yeux des journaux madrilènes du temps, et je crois relire, en les feuilletant, les informations quotidiennes qui se publiaient à Versailles dans les mois d’avril et de mai 1871. On savait d’ailleurs les insurgés à bout de forces ; la capitulation n’était plus qu’une affaire de semaines ou de jours. Elle eut lieu le 10 janvier, moins d’une semaine après la chute de Castelar, et serait probablement survenue bien plus tôt, si les nombreux amis que les cantonalistes comptaient dans les Cortès ne les eussent, paraît-il, exhortés à tout faire pour prolonger la résistance jusqu’à cette échéance fatale du 2 janvier : on renverserait alors Castelar et on lui choisirait pour successeur un complaisant de l’insurrection. Seulement on avait compté sans Pavia ! Lorsque les brigands de Carthagène furent avisés de son coup d’État, ils comprirent que c’était pour eux bien fini, et se décidèrent à conclure avec le général en chef Lopez Dominguez un convenio. Ce fut le don de joyeux avènement des successeurs de Castelar. Mais, en réalité, c’était lui le vainqueur de Carthagène, et ni à Madrid ni ailleurs l’opinion publique ne s’y est trompée.