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Il avait à lutter contre deux ennemis à la fois, — je parle des ennemis en armes, — les carlistes, dans le Nord, et, dans le Midi, les cantonalistes : deux guerres civiles, dont une aurait suffi à ruiner l’Espagne ! Les carlistes, à la faveur de l’anarchie où le pays sombrait, faisaient depuis six mois des progrès effrayans. Le fléau n’était plus renfermé dans son foyer naturel, c’est-à-dire dans les trois provinces basques de Guipuscoa, d’Alava, de Biscaye, et en Navarre. Il débordait sur la Catalogne, gagnait la province de Valence, et formait peu à peu le cercle autour des Castilles, où déjà même il s’infiltrait. Comme autrefois, aux jours critiques de la guerre de Sept ans, aux temps de Cabrera et de Zumalacarreguy, des bandes carlistes se hasardaient jusqu’aux environs d’Aranjuez ; on en vit jusque sur les hauteurs qui dominent l’Escurial. Au commencement de septembre, on évaluait à plus de cinquante mille le nombre des soldats de Don Carlos Basques et Navarrais, à la voix des curés, quittaient les villages et allaient rejoindre « la faction. » Hommes d’un autre temps, qui couraient à la mort avec la triple devise qu’ils avaient reçue de leurs aïeux : Dieu, la patrie, le roi ; qui, avant la bataille, récitaient leurs prières et se faisaient bénir par leurs prêtres. Quel contraste avec les soldats de l’armée régulière, qui insultaient leurs officiers et marchaient à la débandade, avinés et pillards ! Enfin le prétendant lui-même avait passé la frontière ; il avait établi son quartier général dans la petite ville d’Estella ; c’était sa capitale provisoire ; il avait là une façon de cour et de gouvernement. Avec ses ministres, son grand aumônier, l’évêque d’Urgel, les hallebardiers qui formaient sa garde, Charles VII faisait presque figure de roi. Assurément, dans le reste de l’Espagne, il comptait peu de partisans ; il en comptait bien moins que Don Alphonse ; l’armée, d’ailleurs, était alphonsiste et de même, en grande partie, le clergé. Mais don Carlos n’avait-il pas cet avantage de présenter aux regards des conservateurs démoralisés un roi tout prêt et un gouvernement qui, après tout, pourrait rétablir l’ordre ? Castelar se demandait si la démocratie espagnole n’allait pas expier ses désordres, ses folies et ses fautes, en subissant, et, avec elle, la nation, le joug écrasant de la monarchie absolue de Philippe II. Il en menaçait les Cortès : ce serait le châtiment de ces hommes qui auraient fait de la démocratie le synonyme de l’anarchie ; génération frappée de démence et courant au suicide ! Heureusement les deux prétendans se faisaient