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tout à craindre de l’espèce de décomposition générale dans laquelle est tombé le Céleste Empire ? Que deviendraient tous ces beaux projets de grands travaux publics s’il allait s’écrouler, ce qui n’aurait pas lieu sans d’effroyables convulsions, si le plus vieux gouvernement du monde était remplacé par une anarchie à laquelle l’action même des puissances européennes serait bien longue à substituer un ordre nouveau ? Le danger de dislocation de la Chine existe assurément. S’il est bon d’y introduire graduellement des réformes, elle ne saurait en supporter à brève échéance une trop forte dose, et on veut lui en imposer beaucoup depuis quelque temps. Outre les explosions spontanées de fanatisme anti-européen, l’immixtion croissante des Occidentaux dans les affaires intérieures et l’introduction de nouveautés de toute sorte peuvent servir de prétexte aux mécontens pour ameuter le peuple et lever l’étendard de la révolte. Ce n’est pas seulement aux nations étrangères, c’est aussi aux sociétés secrètes, dont fourmille la Chine, presque toutes hostiles à l’ordre établi, que les victoires du Japon ont appris la faiblesse de la dynastie mandchoue.

L’effondrement du gouvernement chinois, qui serait un grand malheur, dépend en partie de la sagesse des puissances européennes sur laquelle on ne sait jusqu’à quel point compter, en partie d’autres facteurs intérieurs, que les étrangers ne connaissent point et sur lesquels ils ne sauraient avoir aucune action. Aussi, tout en espérant que l’événement ne se réalisera pas, en admettant même qu’il soit peu probable, on ne peut traiter de purement chimériques les craintes de ceux qui redoutent que des troubles politiques ne viennent retarder, de beaucoup peut-être, l’exécution des voies ferrées. Qu’ils soient suscités directement par les travaux d’établissement, qu’ils proviennent de l’état d’affaissement où est tombé le Céleste Empire ou d’actes inconsidérés d’une puissance étrangère, l’éventualité de troubles de ce genre constitue pour les chemins de fer chinois un aléa dont il est impossible de ne pas tenir compte.

Une conséquence fâcheuse de l’existence de ces risques, c’est qu’en effrayant les capitalistes timides, ou simplement très prudens, ils rendent plus difficile la constitution des capitaux nécessaires à la construction des lignes. La Chine est déjà bien loin ; elle paraît à beaucoup de gens un pays bien étrange ; il n’était pas besoin que l’incertitude de son avenir politique vînt encore contribuer