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On nous disait autrefois qu’étant une république, nous ne pouvions pas chercher, ni espérer trouver une alliance ; qu’un pareil fait serait contre nature, immoral même, et que ce serait chimère d’en poursuivre la réalisation. Nous devions nous habituer à l’idée qu’étant seuls de notre espèce, nous étions une menace pour tout le monde, et qu’en retour tout le monde nous menaçait : un pays dans cette situation n’avait pas trop de toutes ses forces pour se défendre sur ses frontières, et ne devait se permettre aucune expansion au dehors. Nous ne nous en sommes pas moins répandus en Afrique et en Asie, et nous avons conclu l’alliance russe. L’Angleterre en a été surprise, mais elle s’est rassurée en songeant que l’alliance franco-russe avait en somme pour unique objet de tenir en respect l’alliance germano-austro-italienne. Les forces de l’une immobilisaient celles de l’autre. Dès lors, les puissances de l’Europe continentale étaient assez occupées avec elles-mêmes pour laisser les quatre autres parties du monde à la discrétion de l’Angleterre. Cette fois encore, l’événement a donné un démenti aux prévisions britanniques. Les alliances européennes, double ou triple, ont si bien rempli leur objet avoué, qui était le maintien de la paix, que les puissances qui en faisaient partie se sont abandonnées en toute sécurité aux entreprises pacifiques : entreprises industrielles, commerciales et coloniales. L’Angleterre a rencontré des rivaux sur plusieurs points de l’univers : on sait quelle concurrence l’Allemagne, par exemple, fait déjà à son commerce. Elle se demande si cela durera longtemps. Eh quoi ! L’Europe abjurerait-elle ses haines intestines ? Cesserait-elle de se déchirer par ces guerres glorieuses qui absorbaient autrefois son activité et qui, sur tout le reste, laissaient le champ libre aux Anglo-Saxons. Il y a eu là une période de l’histoire infiniment avantageuse à la Grande-Bretagne. Tandis que nous nous épuisions dans nos luttes, elle augmentait sans cesse son domaine et multipliait ses richesses. Nous ne le lui reprochons pas, nous l’en admirons. Elle a eu raison de profiter de nos fautes. C’est ainsi qu’elle est devenue aujourd’hui la plus grande des puissances et nous reconnaissons volontiers qu’en travaillant pour elle, elle a travaillé aussi pour la civilisation. Il y aurait inintelligence et puérilité à le nier. Loin de nous la pensée que, dans la situation nouvelle de l’Europe, il y ait rien qui lui soit systématiquement hostile ! Nous avons toujours désiré vivre en bons termes avec elle, et nous avons fait plus d’une fois, pour conserver son amitié, des sacrifices dont elle aurait pu nous savoir plus de gré. L’idée d’un conflit possible nous fait horreur. Mais enfin il est naturel et légitime, de la part de la France et