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l’Afrique centrale me vinrent à l’esprit, l’automne dernier, quand l’Angleterre, avec tant de hauteur, mobilisa sa flotte et nous somma d’évacuer sans discussion Fachoda. Alors, un grand et vieux projet, très étudié, prêt, dans ses lignes générales, à être exécuté, et que, sans en être l’auteur, j’avais soutenu il y a près de vingt ans, se représenta à ma mémoire : c’est le célèbre projet du chemin de fer transsaharien. Sa nécessité politique et stratégique m’apparut avec un caractère d’évidence.

Le grand instrument de conquête, le grand instrument de défense, comme le grand instrument de civilisation et de commerce, c’est la ligne ferrée. Les Romains construisaient des routes d’un bout de l’Empire à l’autre ; Napoléon n’hésita pas à en sillonner les Alpes ; aujourd’hui, le chemin de fer remplit le même office. Qui a de grandes vues militaires ou politiques doit commencer par poser une voie de fer ; la sauvagerie de la contrée à traverser, sa pauvreté en ressources propres, ne doit pas empêcher un peuple prévoyant, animé d’une ambition civilisatrice, de construire une voie ferrée : le chemin de fer transcaspien, et, sinon le transsibérien, du moins le chemin de fer de Mongolie, traversant des régions qui sont parmi les plus ingrates du globe, en fournissent la preuve. Si donc nous voulons que notre empire africain devienne une vérité ; si nous tenons à ce que, de nos trois tronçons isolés, deux, du moins en grande partie, le Sénégal-Soudan et le Congo-Oubanghi-Tchad, dans leurs prolongemens, ou ne se dissolvent pas ou ne tombent pas dans des mains ennemies : si nous voulons aussi, au point de vue économique, qu’ils aient quelque chance de se développer, il faut construire ce chemin de fer transsaharien.

Supposez qu’on l’eût exécuté en 1879, quand l’opinion publique fut, pour la première fois, saisie sérieusement du projet, et qu’on l’eût fait plonger du centre de notre Algérie au centre de la région entre le Niger et le lac Tchad, tout l’avenir colonial de la France, et l’on peut dire aussi son avenir politique, en eussent été changés. Ces riches contrées du Soudan central, qui sont considérées comme les meilleures du continent africain, le Sokoto, le Bornou, n’étaient pas encore tombées sous la domination de l’Angleterre : la voie ferrée nous les eût données.

Admettons même que, avec la lenteur habituelle de nos résolutions, cette lenteur qui nous fait ressembler à l’Autriche, — toujours en retard d’une année et d’une armée, — nous eussions