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plus d’aversion que moi pour les excès et les désordres. J’évite les libertins comme des hommes atteints d’un mal contagieux. » Pas une fois elle ne paraît avoir trouvé le loisir de songer à l’amour. Elle-même, d’ailleurs, nous l’apprend, dans une lettre à un de ses amis, qui s’était chargé de lui transmettre une demande en mariage. « J’ai le regret de devoir vous dire, — écrit-elle, — que je ne suis nullement disposée à changer de condition. Mon travail, qui m’occupe tout entière, et un naturel assez froid, mont toujours tenue éloignée de toute pensée d’amour et de mariage. Je ferais bien rire le monde si je m’avisais de changer aujourd’hui, ayant depuis longtemps passé l’âge des folies. »

Telle était cette excellente personne, à qui la légende, bien gratuitement, a attribué les aventures les plus romanesques. La légende a, du reste, défiguré sa vie tout entière, n’admettant pas, sans doute, qu’une artiste aussi fameuse pût nous laisser d’elle une image aussi prosaïque. Les biographies de la Rosalba, depuis celle de Mariette jusqu’à celle d’Alfred Sensier, fourmillent d’erreurs : il n’y a pas jusqu’à la notice que lui a consacrée Reiset, dans son excellent catalogue des dessins du Louvre, qui n’en contienne plusieurs, et assez importantes. Mais M. Malamani avait mieux à faire que de rectifier en détail les affirmations inexactes de ses prédécesseurs : il s’est borné, pour ainsi dire, à annuler leurs travaux, en tirant de documens authentiques une biographie désormais complète et définitive. Essayons, à notre tour, de le suivre dans son récit, ou tout au moins d’en signaler les passages principaux.


Rosalba Zuanna Carriera est née à Venise, le 7 octobre 1676. Son père était « facteur » chez le procurateur Bon ; sa mère, fille d’un marchand de fagots, était brodeuse. Chose curieuse, la plupart de ses biographes ont eu en main la copie de son acte de baptême, où était mentionnée la profession de ses parens, ce qui n’a pas empêché les uns de la faire naître en 1671, d’autres en 1678, et quelques-uns de la représenter comme la fille d’un haut fonctionnaire de la Chancellerie. Elle était l’aînée de trois sœurs. L’une de ses sœurs, Angela, épousa en 1704 le peintre Antonio Pellegrini, pour qui la Rosalba obtint, entre autres commandes, la décoration de la grande salle des délibérations de la célèbre Banque du Mississipi. La troisième sœur, Giovanna, vécut auprès de la Rosalba, l’aidant à la fois dans son travail et dans la direction du ménage. Elle vint avec elle à Paris, en 1750, de sorte que les trois sœurs s’y trouvaient réunies. C’est de Giovanna Carriera