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inédits, récemment acquis par la bibliothèque laurentienne de Florence, et provenant de la célèbre collection de Lord Asburnham. La Rosalba, comme l’on sait, n’était point mariée : après sa mort, ses papiers étaient tombés aux mains d’un chanoine de Chioggia, D. Giovanni Vianelli, qui, n’ayant pas le loisir de les compulser tous, s’était borné à en extraire, pour les publier séparément, les pages du Journal de l’artiste vénitienne relatives à son séjour à Paris en 1720 ; tout au plus y avait-il joint quelques lettres se rapportant à ce même séjour, des lettres écrites pour la plupart en français, et publiées par lui dans une traduction italienne assez fantaisiste. Plus tard, les papiers de la Rosalba s’étaient dispersés ; mais un paquet de cent cinquante lettres était venu, on ne sait comment, en possession du fameux Libri, qui l’avait vendu à Lord Asburnham en compagnie d’autres documens précieux, dérobés par lui dans les bibliothèques. Dans ce paquet se trouvaient, notamment, les lettres françaises traduites jadis en italien par le chanoine Vianelli, et retraduites en français par Alfred Sensier, qui nous a donné en 1865 une traduction du Journal de Rosalba Carriera pendant son séjour à Paris : mais à côté de ces lettres, déjà connues, le paquet en contenait d’autres plus intéressantes encore, antérieures et postérieures au voyage en France de la Rosalba : et c’est de ces lettres, — sorties enfin de la cachette où les tenait l’excentrique lord, complice et recéleur des vols de Libri, — que M. Malamani a pu tirer les élémens principaux d’une biographie complète et détaillée de la femme la mieux douée, peut-être, et à coup sûr la plus illustre entre toutes celles qui se sont livrées à la pratique des arts.

La gloire de la Rosalba a aujourd’hui bien pâli. Au Louvre, c’est à peine si le visiteur s’arrête un moment devant ses quatre pastels, insensible même à l’intérêt historique de ces œuvres qui, directement inspirées des maîtres de la Renaissance italienne, ont ensuite servi de modèles à La Tour et à Perroneau. On n’a plus désormais, pour les admirer, les motifs qu’avaient autrefois les Rigaud, les Coypel et les Watteau, à qui ces œuvres apparaissaient comme les parfaits exemples d’un art nouveau, infiniment élégant et joli dans sa simplicité[1]. Mais,

  1. Nanteuil, Vivien, et bien d’autres peintres du XVIIe siècle, nous ont laissé d’excellens pastels : mais leurs portraits au pastel sont conçus et peints comme des portraits à l’huile. La Rosalba est la première qui ait fait servir le procédé spécial du pastel à produire en peinture des effets spéciaux : et peut-être a-t-elle contribué autant et plus que Watteau à introduire dans l’art français du XVIIIe siècle un nouvel idéal de beauté féminine.