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« L’exotisme gagne de proche en proche sans qu’on s’en défie. Il règne sur le costume, sur les usages du monde, sur le roman, sur la philosophie, sur le théâtre, et, si nous n’y prenions garde, il finirait même par nous envahir le cœur... Pourtant nous sommes encore un certain nombre de Français de France, un peu arriérés peut-être, un peu chauvins, qui ne pouvons pas réussir à nous faire une âme « foraine ». J’entends par là une âme sans attache fixe, sans traditions, une âme vagabonde qui ne soit à l’aise qu’en sa petite roulotte intellectuelle, et qui voisine indifféremment avec les pitres bariolés de toutes les nations. » De si pressans appels prennent une autorité incontestable quand ils émanent d’hommes aussi connus pour leur modération et pour l’indépendance de leur esprit.

Quelques-uns des discours dûs aux plus jeunes parmi nos professeurs de lycée n’ont été ni moins significatifs, ni moins nets. M. André Bellessort, professeur au lycée Janson de Sailly a beaucoup voyagé ; nos lecteurs ne l’ignorent pas. Il a rencontré au cours de ses pérégrinations beaucoup de ces Anglo-Saxons dont on nous vante l’individualisme, et a été frappé de les trouver fort différens de l’image qu’on en a trop aisément accréditée chez nous ; « ils avaient tous un admirable respect de l’autorité, tous dépendaient religieusement de leurs traditions séculaires et semblaient obéir à une consigne reçue de toute éternité. » M. Louis Bodin, en quelques pages d’un charme pénétrant, a célébré cette forme plus intime du patriotisme qui est l’amour de la province natale, et expliqué les leçons qui se dégagent de cette vie de province, tout imprégnée des souvenirs et de la poésie du passé. M. Pichon a analysé le sens du passé que développe en nous l’étude des lettres classiques. C’est encore un maître de conférences de la Sorbonne, M. Dejob, qui a réfuté ce paradoxe par lequel on voudrait nous faire prendre les luttes commerciales pour des luttes pacifiques. En fait, il n’est pas une nation commerçante qui n’ait soutenu son commerce par de bonnes armées et par de bonnes flottes de guerre. C’est un universitaire, fils d’universitaire, M. Gidel, qui, prenant pour sujet de son allocution la conquête du Soudan, a retracé les épisodes les plus saisissants de cette guerre où sont réunis, comme en un faisceau triomphal, les noms des Borgnis-Desbordes, des Combes, des Gallieni, des Archinard et des Marchand. C’est un membre de l’institut, M. Cagnat, et c’est M. Berr donnant à leurs auditeurs du lycée Henri IV les mêmes conseils patriotiques. — Je pourrais prolonger cette énumération et multiplier les citations ; mais je ne me suis pas proposé de greffer sur le palmarès des élèves un palmarès des professeurs.